Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
L’histoire de Jean Mathurin Rescourio sort de l’oubli
Le moment d’histoire. Grâce à son appel relayé dans nos colonnes, l’historien Patrick-Charles Renaud a pu entrer en contact avec la soeur de Jean Mathurin Rescourio, tué à 19 ans, durant la guerre d’Indochine.
C’était inespéré. « Soixante- dix ans après, c’est difficile de trouver des proches », concède Patrick- Charles Renaud. Et pourtant… L’appel lancé par cet historien et relayé dans nos colonnes, dimanche 10 mars, a été entendu. L’article, dans lequel ce passionné expliquait chercher des personnes ayant connu Jean Mathurin Rescourio, est passé dans plusieurs mains avant de finir dans celle de Jacqueline Alsina, la soeur de ce soldat originaire de Saint-Nicolas- duPélem et mort à Diên Biên Phu, le 6 mai 1954. « J’ai été bouleversée », nous raconte-t- elle.
Grâce à elle, Patrick- Charles Renaud a pu connaître l’histoire de ce jeune centre-breton. L’historien connaissait déjà le destin de ce caporal, né à Plounévez- Quintin le 9 novembre 1934 et qui a vécu à Saint-Nicolas- du- Pélem. Il savait qu’il avait combattu durant la guerre d’Indochine, qu’il appartenait à la 5e compagnie de ravitaillement par air, et qu’il est décédé à l’âge de 19 ans, le 6 mai 1954, veille de la chute de Diên Biên Phu.
« Tu n’as pas besoin d’avoir peur maman »
« Il était très jeune, largueur à bord d’un avion piloté par des mercenaires américains, dont Mac Govern, qui avait fait partie des Tigres volants durant la Seconde Guerre mondiale. » Mais il cherchait à « ravi
ver la mémoire » de ce jeune soldat « tombé dans l’oubli ».
Jacqueline a pu transmettre des lettres et une photo de son frère qui est parti alors qu’elle avait 8 ans. Âgé de 18 ans et lycéen à Rostrenen à l’époque, Jean Mathurin devance l’appel pour effectuer son service militaire. Il est affecté en Allemagne, à Donaueschingen. En mai 1953, il demande le consentement de ses parents pour partir en Indochine, la majorité étant fixée alors à 21 ans, « pour travailler dans les bureaux à l’arrière », écrit-il à sa famille.
Le 13 février 1954, dans une nou
velle lettre, il indique : « Je suis muté dans les troupes aéroportées. […] On va porter le fameux béret rouge. » Il accomplit des missions de ravitaillement sur Diên Biên Phu. Il en réalisera 22 au total, dont six de nuit. Dans une dernière lettre, datée du 9 avril 1954, il tente de rassurer ses parents : « Tu n’as pas besoin d’avoir peur maman car ce n’est pas dangereux ; nous allons parachuter des munitions et des vivres, et nous les larguons à 800 m de hauteur. » Le 6 mai, il part en mission à bord d’un C-119. L’avion est abattu par l’artillerie anti-aérienne viêt-min.
Pour la famille, Jean Mathurin est prisonnier, comme l’indique un télégramme reçu le 14 juin 1954. À la fin de cette même année, les prisonniers d’Indochine sont de retour en France. La famille Rescourio publie deux annonces Ouest-France pour savoir si certains peuvent apporter des nouvelles de leurs fils. Huit ans plus tard, le 4 avril 1962, le tribunal de grande instance de Guingamp déclare « certain et constant le décès de Rescourio Jean Mathurin, mort à Diên Biên Phu, le 6 mai 1954 ».
Reconnu « Mort pour la France » 58 ans après
Mais il faudra attendre 2012 pour que le caporal soit reconnu « Mort pour la France », à l’initiative de sa soeur, Jacqueline, et du lieutenant Arlaux, seul survivant du crash. « Depuis 2005, quand je suis arrivée à la retraite, je cherchais à trouver la trace de mon frère, je voulais savoir ce qu’il était devenu. Ma mère a toujours trouvé porte close », rapporte-t- elle. En rencontrant le lieutenant Arlaux, « j’ai su de vive voix ce qui s’était passé. »
Des démarches sont entreprises en 2012 pour que le caporal Rescourio soit décoré de la médaille militaire, la plus haute distinction, à titre posthume. La demande n’aboutit pas, car il faut faire la demande dans un délai d’un mois après la disparition d’un soldat. « Il y a une injustice, déplore Patrick- Charles Renaud. Alors que les deux pilotes américains ont reçu, à titre posthume, la Légion d’honneur par le président Jacques Chirac, en 2005. »
Jacqueline ignorait que son frère avait reçu la Croix de guerre avec étoile de bronze le 23 juin 1954, « mais pas à titre posthume, car il était toujours porté disparu », lui a appris Patrick- Charles Renaud. Ce dernier va essayer d’entamer des démarches pour permettre à Jean Mathurin Rescourio d’être décoré de la médaille militaire. Jacqueline l’espère, pour réparer « le manque de considération » envers son frère. « Ça ne le ramènera pas, mais je suis contente. »