Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Scholastique Mukasonga sort sa soeur de l’oubli
Scholastique Mukasonga, avec Julienne, sort de l’oubli sa jeune soeur. Aussi menue que persévérante, elle a été fauchée par la maladie trois ans avant le génocide au Rwanda en 1994.
Elle s’appelait Julienne, née Tutsi, à Mayange, au Rwanda. La sixième enfant de ses parents et leur quatrième fille. Un malheur pour eux. Son père donnera « un prénom de dépit à sa fille malvenue » : Wamukusa, comme pour « la vouer à on ne sait quel mauvais destin ». Tous l’appelleront Julienne, du prénom donné par un missionnaire à son baptême.
Née chétive, la fillette a grande faim de vivre et de suivre des études, comme sa soeur aînée et adorée Lidia. Lidia, prénom de fiction de la romancière Scholastique Mukasonga, contrainte à l’exil au Burundi pour y obtenir diplôme et travail, « en franchissant comme elle toutes les barrières qu’avaient dressées contre les Tutsi la politique raciste des autorités ». Julienne deviendra, elle aussi, une déplacée au Burundi puis à Bruxelles. Elle connaîtra – enfin – le bel amour, avant de mourir fauchée par ce qu’on peut subodorer être la basse vengeance d’un pauvre type.
« Julienne, sa douleur à elle »
Scholastique Mukasonga a écrit un hommage sororal dans lequel elle dit, via Lidia, toute son admiration à cette femme intrépide, persévérante et intelligente. Julienne est morte trois ans avant le génocide de plus d’un million de Tutsi par les Hutu au Rwanda, en 1994. « Lidia avait pleuré ses morts avec les autres, mais Julienne restait sa morte à elle, sa douleur à elle. » Scholastique Mukasonga a perdu trente- sept membres de sa
famille au cours du génocide de 1994. Elle a écrit sur son pays natal, sur sa mère et sur toutes les femmes qui se battent pour leurs enfants dans La femme aux pieds nus ; sur son père dans Un si beau diplôme !
L’autrice, prix Renaudot 2012 pour
Notre- Dame du Nil et qui vit près de Caen, en Normandie, dit avoir « repoussé l’échéance » d’écrire sur Julienne jusqu’au jour où son mari et ses fils lui ont mis le stylo entre les mains : « Voilà, c’est le moment, c’est maintenant Julienne. » Ils ont
bien fait d’avoir encouragé Scholastique Mukasonga à écrire ce beau texte, sur cette femme qui a bataillé avec la loterie de la vie et l’exil imposé.
Julienne, 20,50 €.
Gallimard, 224 pages,