Dimanche Ouest France (Finistere)

Dérives sexistes et sexuelles à l’hôpital

Documentai­re. Tradition masculine, confratern­ité, rites et secrets… Des blouses pas si blanches fait état d’un climat délétère dans le milieu médical pour les femmes, qui osent peu briser l’omerta.

- Portolano, Propos recueillis par Sonia LABESSE.

coréalisat­rice, avec Grégoire Huet, du documentai­re Des blouses pas si blanches.

Qu’est-ce qui vous a amenée à réaliser cette enquête ?

À la suite d’une enquête sur les dérives sexistes au sein des rédactions sportives, diffusée en 2021 sur Canal +, j’ai reçu des témoignage­s concernant d’autres milieux. Celui qui revenait le plus était le médical. Dans une enquête de l’ANEMF (Associatio­n nationale des étudiants en médecine) réalisée en 2021, 38,4 % des étudiantes disaient avoir été victimes de harcèlemen­t sexuel à l’hôpital, 5 % d’agressions sexuelles. Cependant, si les langues se délient en privé ou sur les réseaux (#MeTooHopit­al, #balanceton­porc), très peu acceptent de témoigner à visage découvert.

En quoi la tradition de « l’esprit carabin » favorise-t-elle les dérives ?

L’esprit carabin est né avec la création du corps des internes, sous Louis-Napoléon Bonaparte. Les internes étaient de jeunes hommes qui se retrouvaie­nt face à la maladie, la nudité, la mort… Ils ont alors développé, pour décompress­er entre confrères, un esprit potache, grivois, sans tabou à l’égard du corps et du

sexe. Un « esprit carabin » qui a perduré, justifié par une présence intense à l’hôpital et un rapport au corps « différent ». Par exemple, dans la salle de garde que nous avons filmée, des fresques pornograph­iques représente­nt une médecin à genoux, entourée de médecins hommes tenant des propos violents.

Interdit en 2017, le bizutage se poursuit-il dans les associatio­ns d’étudiants ?

Nous ne pouvons pas généralise­r. Cependant, les différents témoignage­s confirment l’existence de dérives et un contexte qui les favorise. Ainsi, une étudiante en 7e année de médecine témoigne du rite d’intégratio­n à caractère sexuel qu’elle a subi, à 19 ans, pour accéder à la direction d’une associatio­n d’élèves. Rite qu’elle dit avoir fait subir à l’étudiant qui lui a succédé… Les soirées médecine, très fermées, sont le lieu d’excès que chacun s’engage à ne pas divulguer.

Et comment le sexisme se manifeste-t-il ?

En 2022, 54 % des praticiens hospitalie­rs étaient des femmes. Mais 70 % des professeur­s de médecine (PUHP) étaient des hommes. Une pédiatre raconte que les ressources humaines de l’hôpital lui ont proposé d’être nommée praticienn­e, à condition de ne pas être enceinte durant deux ans. L’ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, dit de son côté avoir quitté l’hôpital alors qu’elle était devenue professeur­e, ne supportant plus la pression sexiste. D’autres aussi disent avoir renoncé en raison de ce climat sexiste.

En 2019, la Cour des comptes a épinglé l’Ordre des médecins. Avec quels effets ?

La Cour des comptes a relevé « des manquement­s nombreux en matière de déontologi­e et de probité » dans les conseils départemen­taux et régionaux de l’Ordre. L’une des autrices du rapport de 2019 explique avoir été sidérée de constater que les plaintes n’arrivaient pas jusqu’en juridictio­n disciplina­ire et que les sanctions, quand il y en avait, étaient très clémentes au regard des sanctions pénales. Le conseil de l’Ordre assure désormais appliquer la tolérance zéro.

M6,

23 h 10.

 ?? | PHOTO : M6 ?? Aides-soignantes, infirmière­s, médecins femmes et étudiantes décrivent un climat sexiste dans les hôpitaux.
| PHOTO : M6 Aides-soignantes, infirmière­s, médecins femmes et étudiantes décrivent un climat sexiste dans les hôpitaux.

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