Dimanche Ouest France (Finistere)

Faire l’expérience de l’Europe

- Christelle Craplet, directrice Opinion à BVA Xsight, pour la fondation JeanJaurès, 15 avril 2024. et (4) Ouest-France du 22 avril. Ouest-France du 9 mai.

Dans moins d’un mois, 358 millions d’Européens seront appelés aux urnes pour élire 720 eurodéputé­s. En France, l’élection aura lieu dimanche 9 juin. Pour beaucoup de jeunes électeurs, ce sera une première. Pour autant, ce rendez-vous ne suscite pas beaucoup d’enthousias­me, à première vue, chez les 18-24 ans.

Avant de crier au désamour des jeunes pour la chose publique ou de dénoncer leur féroce individual­isme, peut-être faut-il examiner le patient pour éviter l’erreur de diagnostic. De quoi ce faible enthousias­me électoral est-il le symptôme, alors même que se traitent à l’échelle européenne des sujets qui mobilisent la jeunesse, de la lutte contre le réchauffem­ent climatique à la crise migratoire ?

D’abord, d’une crise de la représenta­tivité politique plus que d’un refus d’Europe. Selon une enquête de BVA

Xsight (1), la moitié des jeunes de 18-24 ans déclare ne se sentir proche d’aucun parti. Ensuite, d’une méconnaiss­ance paralysant­e : 22 % disent ne pas connaître suffisamme­nt les institutio­ns européenne­s. À l’inverse, ceux qui sont allés voter en 2019 l’ont fait « parce qu’ils se sentaient européens ».

Justement, et c’est le troisième point, ce sentiment d’appartenan­ce est mis à rude épreuve par « le retour partout dans le monde d’une obsession nationalis­te prônant une identité exclusive et non discutable », comme l’écrit Christian Lequesne, professeur de science politique à Sciences Po Paris (2).

C’est l’inverse de ce qu’est l’identité européenne : elle se construit forcément en plusieurs épaisseurs : je suis Breton (ou Normand, ou Limousin…) , Français et Européen. Cela se superpose, ça ne s’annule pas. Un millefeuil­le qui dit les nuances plus que les clivages et qui se construit par la rencontre.

Jumelages, rencontres sportives, échanges linguistiq­ues et culturels ou même, comme hier, concours de l’Eurovision, c’est comme ça aussi que l’Europe a bâti ses fondations, a tissé concrèteme­nt des liens entre humains autour des valeurs communes. C’est en rencontran­t d’autres Européens que l’on voit ce qui nous différenci­e et nous rassemble. Et que l’on peut rêver plus grand.

Là est le remède. En cela, le programme Erasmus est beaucoup plus important que la possibilit­é qu’il offre d’étudier un an à l’étranger. Les 3 000 étudiants de 1987 sont 300 000 par an aujourd’hui. Cela semble beaucoup, mais les 18-24 ans, rien qu’en France sont 5,6 millions…

Pour la génération Erasmus, la découverte des cultures a accru la connaissan­ce de l’Europe. À partir justement de cette identité plurielle si bien décrite dans le film L’auberge espagnole. L’Espagne est d’ailleurs le pays d’Europe dont les 18-24 ans se sentent les plus proches, selon notre sondage (3). Il est d’autant plus triste de savoir les jeunes Britanniqu­es privés d’Erasmus depuis le Brexit (4).

La devise de l’Europe, « Unie dans la diversité », est née d’un concours entre élèves européens, en avril 2000, à l’initiative d’Ouest-France et du Mémorial de Caen. Chaque jeune citoyen européen devrait pouvoir en faire l’expérience.

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(2) (3)

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