Dimanche Ouest France (Finistere)
Habib Beye, l’envol d’un insatiable ambitieux
Alors que son Red Star a bouclé une saison champagne, hier (succès 4-2 contre Épinal), auréolé d’un titre de champion, Habib Beye se rêve sur un banc à la hauteur de ses aspirations.
La sobriété et l’assurance d’un homme comblé, mais sûrement pas repu. Un mouvement de bras, une clameur. Puis les « Habib, Habib, Habib » montent crescendo jusqu’à la petite estrade improvisée au milieu de la pelouse de Bauer. Des vapeurs vertes de fumis encore en lévitation, une liesse populaire et un coach – seul au milieu de son groupe – qui voit grand, beaucoup plus grand.
En cette fraîche soirée d’avril, le Red Star vient de valider sa montée en Ligue 2, à quatre journées de la fin, et ce malgré la défaite 2-0 contre Dijon. Par ricochet, le club de Saint-Ouen sait que son entraîneur lui filera entre les doigts quelques semaines plus tard, sans que cela n’étonne personne. Car il est comme ça, Habib Beye. Poussé par ses ambitions, l’ancien défenseur franco-sénégalais avance toujours, sans jamais se retourner. Sous ses ordres, l’Étoile Rouge a retrouvé un ton sémillant, grandissant à vue d’oeil, mais pas assez pour celui qui rêve des pelouses de Ligue 1, si ce n’est plus. « Il a toujours été sûr de lui, convaincu de son potentiel. C’est fou, il ne doutait jamais », se remémore Laurent Batlles, ancien partenaire de « déconnades » à l’OM. « Habib a la force des gens qui ont de la personnalité et beaucoup d’ego. Il sait ce qu’il vaut, où il veut aller et il ne déviera jamais de sa trajectoire », dépeint Paul Tchoukriel, son binôme depuis bientôt quatre ans aux micros de Canal +. « Au bout d’un ou deux entraînements, on avait compris. Il avait déjà toutes les cartes en main pour réussir son pari et devenir un grand coach », se souvient Brice Cognard, portier de Châteauroux, qui a connu Habib Beye aux prémices de sa nouvelle carrière d’entraîneur, lorsqu’il était adjoint de Laurent Fournier à Poissy (2019-20, N2).
Trois témoignages pour trois chapitres d’une même vie, et une tendance qui se dégage : peu importe où il passe, le technicien de 46 ans aimante les regards et ne laisse pas indifférent. Ça a été le cas lorsqu’il était défenseur à succès au début des années 2000, puis en entrant dans le foyer des fans de foot par le petit écran en tant que consultant – aidé par son élocution et un style imprégné de pauses théâtrales –, avant de mettre le clignotant à droite il y a cinq ans : direction les bancs de touche.
Un choix qui n’a pas étonné son ancien coéquipier à Strasbourg, Lionel Rouxel, qui avait vu le tout jeune Beye, déjà parfaitement coiffé, débarquer à l’été 1998 du centre de formation du PSG, avec une certaine idée sur le jeu, et un aplomb qui détonnait pour son âge. « Il n’hésitait pas à donner son avis, sans détour. Il était déjà animé
par la recherche tactique, se remémore l’ex-attaquant du Racing, qui a supervisé le natif de Suresnes (Hautsde-Seine), bien des années après, lorsque ce dernier passait le BEPF (brevet d’entraîneur formateur de football).
Malgré son jeune âge, il avait déjà ce côté visionnaire. »
Et ça n’a pas loupé. Un peu plus de vingt-cinq ans après ses débuts professionnels en Alsace, trois saisons après avoir été balancé dans la marmite de la troisième division avec le Red Star, sans autre expérience qu’une poignée d’entraînements comme adjoint et la pancarte encombrante de commentateur-star sur Canal +, Habib Beye a été élu par ses pairs meilleur entraîneur du National, le week-end dernier.
Un titre honorifique qui coule de source, tant son Red Star a écrasé la concurrence cette saison. Successeur surprise de Vincent Bordot, qu’il accompagnait depuis peu comme adjoint, en septembre 2021, le finaliste de la CAN 2002 avec le Sénégal a su construire en trois saisons une véritable machine à distribuer du plaisir en barre, tout en gagnant.
« Indéniablement, il y a une patte Beye »
« Il a changé le visage de cette équipe. Parmi les entraîneurs de National, il est l’un des rares à revendiquer ostensiblement le déséquilibre, c’est sa marque de fabrique, décrypte Emmanuel Moine, journaliste et commentateur historique de la
troisième division. Quand il parle de football, c’est un romantique. Gagner ne suffit plus, il veut que son équipe procure des émotions. »
Un certain jusqu’au-boutisme, tiré de son admiration pour Guardiola, qui lui a parfois joué des tours la saison passée (3e à deux points de la 1re place) et qu’il a dû apprendre à juguler… Jusqu’à aboutir à cette version 2023-2024, si bien huilée et explosive. Un Red Star capable de jouer dans un système modulable, souvent un 3-4-2-1, où cohabitent sur la feuille de match cinq à six joueurs offensifs, avec comme seul maître-mot : l’intensité. « Indéniablement, il y a une patte Beye », reprend Emmanuel Moine, qui insiste aussi sur la capacité du jeune coach à savoir s’entourer. Pierre Sage et Sébastien Bichard, deux de ses anciens adjoints, entraînent en L1 en cette saison (à l’Olympique lyonnais et Clermont).
« Ce qui m’a marqué, c’est la justesse de ses causeries. C’est un entraîneur de la nouvelle génération, complète Brice Cognard, qui a assisté aux premiers pas d’Habib Beye comme n° 1 sur le banc de Poissy, afin de pallier la suspension de Laurent Fournier. Il sait comment fonctionnent les jeunes et il arrive à transmettre une énergie inexplicable. Tu as envie d’aller à la guerre pour lui. »
Des discours laudatifs qui tranchent avec l’accueil réservé par le petit monde du championnat de National à son arrivée. « On ne va pas se mentir, tout le monde voulait un peu se faire Beye. Il suscitait des jalousies. Beaucoup ne comprenaient pas qu’un entraîneur sans expérience attire autant la lumière », ne cache pas Emmanuel Moine. « Certains coachs lui disaient : “Ici ce n’est pas Canal +, on n’est pas à la télé…” Il y avait pas mal de réflexions sur son rôle de consultant. Il fallait être très solide mentalement », appuie Paul Tchoukriel, qui a été aux premières loges pour suivre les débuts de son fidèle acolyte, à cheval entre la chaîne cryptée et le rectangle vert.
« Sa priorité, c’était le Red Star »
« Il sait ce qu’il vaut et où il veut aller »
Là est la particularité de Beye. Il n’a jamais stoppé son métier de consultant télé depuis qu’il a enfilé son costume d’entraîneur, en accord avec les dirigeants audoniens et aidé par la proximité de Saint-Ouen avec la capitale. « Pour commenter la Coupe d’Europe, il prenait des avions qui arrivaient à 17 h 30 pour des matches à 21 h. C’était sans filet, mais sa priorité, c’était le Red Star. On s’est adapté », reprend Tchoukriel.
Le matin au centre d’entraînement de Marville (Saint-Denis), le soir à Dortmund aux commentaires d’une demifinale de Ligue des champions… Un double rythme effréné qui prendra fin, selon toute vraisemblance, à l’issue de la saison. Déjà approché par des clubs de L1 il y a six mois, notamment l’OL, Habib Beye souhaite composter dès maintenant son billet sans retour vers un haut niveau incompatible avec ses obligations télévisées. Car sur l’autoroute de ses ambitions, le technicien à la communication millimétrée voit grand. Actuellement à la recherche d’un banc, il s’imaginerait bien, à moyen terme, faire une halte dans un club comme l’OM, auquel il n’a pas hésité à faire plusieurs appels du pied dernièrement, sans grand succès.
« Avant chaque match de Ligue des champions, je l’observe : il fait les cent pas le long de la ligne de touche. Un peu comme s’il se voyait déjà coacher ce genre de rencontres de galas. Il doit sûrement se projeter à San Siro ou au Bernabéu, et en faire son objectif », imagine Paul Tchoukriel, qui se verrait bien commenter un match de Coupe d’Europe, avec sur le banc de touche « son ami Habib ». De Bauer au Bernabéu, le chemin s’annonce long et tortueux. Et il ne fait que commencer.