Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Surf : les origines de la vague de Nazaré
Depuis quelques années, le petit village de Nazaré, situé au nord de Lisbonne, est devenu la Mecque du surf. La raison de ce phénomène ? Un canyon sous-marin de 5 km de profondeur.
C’est une grande dame qui a fait la popularité du petit village de pêcheurs portugais qu’est Nazaré. La vague. Depuis le coeur de la ville et sa plage principale, rien ne laisse penser que des monstres d’eau s’abattent sur le spot du nord, de l’autre côté de l’immense falaise, haute de 110 mètres, qui entoure les habitations blanches et jaunes aux toits recouvertes de tuiles orange. Rien ou presque. C’est en marchant sur les pavés noirs du remblai que l’on se rend compte de la force des vagues qui s’abattent sur Praia do Norte. Au loin, le phare rouge et le fort Sao Miguel Arcanjo, érigé sur la pointe de la falaise en 1577 pour défendre la baie des attaques de pirates, se dessinent entre la brume et les explosions des vagues qui s’écrasent à toute vitesse sur les rochers.
Pour contempler les vagues de plus près, il faut d’abord parcourir les rues pentues et étroites de la ville, grimper à pied sur la falaise ou emprunter le funiculaire centenaire pour rejoindre la petite place située au sommet. En redescendant vers le fort de l’autre côté, par la route rendue glissante par les projections d’eau salée, une forte odeur iodée se fait sentir. Les ondulations visibles au loin donnent rapidement une idée de la taille des vagues qui déferlent en contrebas. Aujourd’hui, un parfait vent offshore offre des conditions idéales aux équipes à l’eau. Un grondement similaire au bruit du tonnerre vient briser le calme de cette journée ensoleillée où la température avoisine les vingt degrés.
Une vallée sous-marine de 5 km de profondeur
En arrivant sur le spot, rien de mieux que de prendre place sur le sol couleur argile pour assister au spectacle qui a commencé depuis l’aube. Plusieurs spectateurs sont aussi au rendez-vous. Tous sont tournés vers l’océan, émerveillés. Des embruns viennent rafraîchir les visages et un petit vent venu du nord adoucit l’atmosphère printanière. En fermant les yeux, le bruit de l’océan résonne comme un fond sonore permanent.
Dans l’écume qui blanchit l’eau, de grandes traînées de sable laissent imaginer le brassage violent au fond de la mer.
À chaque vague, une énorme masse d’eau se lève au ralenti avant de se briser dans un fracas sourd qui résonne dans toute la baie. Depuis la côte, on peut entrevoir de petits points noirs entre ces vagues toutes plus grosses les unes que les autres. Les surfeurs. Pourtant proches de ces tribunes naturelles, les riders semblent minuscules, perdus dans ces vagues XXL. Le beach break de Nazaré offre des gauches et des droites à ceux qui osent se lancer.
La mer se calme quelques instants, permettant aux équipes à l’eau de souffler au line up (zone au large où les surfeurs attendent les vagues, au début de leur déferlement). Dix, onze, douze secondes passent, et une nouvelle série arrive au loin. Les jet-skis mettent les gaz, les surfeurs grimpent sur leur sled (planche de sauvetage attachée à l’arrière de la machine) et s’apprêtent à prendre le départ.
Ces vagues géantes sont la conséquence de plusieurs facteurs, à commencer par le vent plus fort l’hiver qui rend la houle logiquement plus grosse. Cette zone du Portugal se situant sur la façade Atlantique entre Porto et Lisbonne, elle est d’autant plus exposée au vent. Mais ce qui fait la particularité de Nazaré, c’est son canyon sous-marin au large des côtes. Long de 170 km, il atteint par endroits jusqu’à 5 km de profondeur.
Cette faille gigantesque est due à un phénomène géologique de modification de la croute terrestre. Des anomalies se sont formées sous la mer, comme celles que l’on peut trouver sur la terre avec les montagnes et les vallées. Ce canyon joue un rôle majeur dans la création des vagues, comme l’explique Fabrice Ardhuin, chercheur au laboratoire d’océanographie physique et spatiale. « C’est une question d’amplification. Les vagues sont des ondes qui se propagent dans la mer. La topographie sous-marine présente à Nazaré va amplifier le phénomène. Il y a la même continuité d’énergie partout, mais quand les ondes passent dans ce point très fort qu’est le canyon, cette énergie est décuplée et créer des vagues beaucoup plus grosses à la sortie. C’est ce qui explique aussi qu’autour, les vagues sont petites. » Sa reconnaissance mondiale, Nazaré la doit à ses bodyboarders locaux et plus particulièrement à Dino Casimiro. « J’ai commencé le bodyboard avec des amis, c’était très dur de pratiquer sur la plage nord car personne n’était préparé à d’aussi grosses vagues. On a très vite compris que Praia do Norte était spéciale », se souvient celui qui est né dans une famille de pêcheurs
Renommée désormais mondiale
La bande de copains décide de faire connaître le potentiel du spot au monde entier après avoir organisé une première compétition en 2000. « En 2002, nous avons créé le premier club local de bodyboard, d’abord pour permettre d’offrir plus de visibilité à Nazaré et pour développer la ville. Nous l’avons aussi fait pour permettre aux enfants de pratiquer un sport de glisse car à cause de la force des vagues, ils cassaient tous leur planche de surf et leur sport coûtait trop cher en matériel ». Au fil des années et événements, Dino Casimiro décide d’inviter le surfeur américain Garrett McNamara pour lui faire découvrir le potentiel de cette vague portugaise. « Je lui ai envoyé des photos régulièrement entre 2005 et 2010 puis il a accepté notre invitation. » S’ensuit l’amplification de cet engouement autour du spot, le début des compétitions de Big Wave de la World Surf League et la renommée de la vague, désormais mondiale.
Sur le spot de Praia do Norte, la journée se termine. Le soleil se couche, ses lueurs rouges éclairent le fort et font briller les falaises. Les derniers surfeurs sont remontés sur les jetskis. La planche sous le bras, ils mettent le cap sur le port, de l’autre côté de la ville. L’heure est désormais au nettoyage et au rangement du matériel avant la prochaine session. Les derniers spectateurs quittent la falaise direction le funiculaire. Perché sur son tabouret au bord de la route, un chanteur local joue avec sa guitare, décrochant à ceux qui passent devant lui, les derniers sourires d’une belle journée passée à Nazaré.