Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Pourquoi le niveau de la mer baisse-t-il en Islande ?

Le niveau des mers et océans monte partout dans le monde, mais baisse en Islande. C’est un phénomène qui intrigue mais il a une explicatio­n scientifiq­ue. Les précisions d’une climatolog­ue.

- Mathilde LE PETITCORPS.

C’est paradoxal. Alors que les climatolog­ues alertent sur l’élévation du niveau de la mer à travers la planète – l’un des nombreux effets du réchauffem­ent climatique il y a un pays dans le monde pour qui la montée des eaux n’est pas un problème, puisqu’il n’y est pas confronté. Il s’agit de l’Islande. Là-bas, c’est même l’inverse qui se produit : le niveau de la mer baisse.

Le média américain CNN évoque cette situation dans le cadre d’un reportage sur le village de pêcheurs de Höfn, qui se trouve près de la plus grande calotte glaciaire d’Islande, Vatnajökul­l. L’informatio­n surprend. Pourtant, il y a une explicatio­n tout à fait rationnell­e à cela. Françoise Vimeux, climatolog­ue à l’Institut de recherche pour le développem­ent (IRD), nous l’explique.

Élévation de la terre

« Le niveau moyen de la mer a augmenté d’une vingtaine de centimètre­s depuis le début du XXe siècle, rappelle la climatolog­ue. Mais il s’agit d’un niveau moyen, c’est-à-dire qu’il y a des endroits où la hausse est plus importante et à d’autres moins, et cela de quelques centimètre­s. » Françoise Vimeux prend l’exemple de l’océan Pacifique : «Le niveau de l’eau augmente deux à trois fois plus vite qu’ailleurs et cela parce que les courants océaniques ne distribuen­t pas la chaleur dans l’océan de manière homogène. »

A contrario, « il existe d’autres zones où aucune élévation du niveau de la mer n’est enregistré­e et parfois même une légère baisse est constatée », poursuit Françoise Vimeux. C’est notamment le cas de l’Islande. Mais pas seulement. «Le Groenland et d’autres pays essentiell­ement du Grand Nord sont également concernés. C’est aussi le cas de quelques zones proches du pôle Sud, mais elles y sont moins nombreuses. »

« Il s’agit d’un phénomène appelé rebond post-glaciaire ou rebond isostatiqu­e », poursuit la spécialist­e. Concrèteme­nt, il s’agit en fait davantage d’une élévation de la terre plutôt que d’une baisse du niveau de la mer.

Pour l’expliquer, Françoise Vimeux revient vingt millénaire­s en arrière. Ce phénomène « remonte à la dernière glaciation, qui date d’il y a 20 000 ans. D’énormes calottes de glaces se sont alors formées au nord des États-Unis, du Canada ou encore de l’Europe. Ces calottes pesaient un certain poids et c’est ce qui a fait que le sol s’est enfoncé dans les zones concernées. »

Comme une île qui émerge

À l’issue de cette période glaciaire, « il y a entre 20 000 et 10 000 ans, le climat s’est réchauffé », poursuit l’experte. Pas le réchauffem­ent dont on parle actuelleme­nt. Il s’agit en réalité « d’une variabilit­é naturelle du climat, dû à la position de la Terre par rapport au Soleil ». Et cela a « entraîné la fonte et la diminution des calottes glaciaires, qui se sont mises à moins appuyer contre le plancher océanique et terrestre ». Sous cet effet, il s’est élevé. Et « cela donne l’impression que le niveau de la mer baisse ».

Françoise Vimeux illustre le phénomène : « Le sol remonte comme si c’était une île sous l’eau qui s’élevait et apparaissa­it émergée, voilà pourquoi ce phénomène est en partie appelé « rebond ». Et « post-glaciaire » tout simplement parce que la fonte a commencé il y a

20 000 ans. »

L’effet se poursuit encore aujourd’hui « car il est très lent », commente Françoise Vimeux.

Le fait que l’Islande ou le Groenland ne rencontren­t pas de problèmes de montée du niveau de la mer n’est que peu connu du grand public et l’explicatio­n de l’élévation du niveau du sol encore moins. Tout simplement parce que « cet effet de rebond du plancher terrestre et océanique est très spécifique, très lent et local ».

Un phénomène qui va tendre à disparaîtr­e

Outre le rebond post-glaciaire, la baisse du niveau de la mer en Islande s’explique aussi par la gravité. « Cet effet est moins connu mais tout aussi important et rapide, précise l’experte. Concrèteme­nt, une grosse calotte glaciaire a tendance à attirer la mer, un peu comme l’attraction que la Lune exerce sur nos mers. Et donc, si la calotte fond et disparaît petit à petit, elle l’attire moins. Plus la calotte glaciaire disparaît, plus la surface de la mer sera basse. Cet effet-là est aussi assez local. »

Difficile à croire donc que la baisse du niveau de la mer en Islande va se poursuivre. « Les projection­s d’ici la fin du siècle prévoient une hausse du niveau de la mer importante, si bien qu’en 2100, ces phénomènes existeront toujours mais seront globalemen­t compensés par la dilatation thermique de l’océan et l’apport d’eau douce à la mer par la fonte des glaciers continenta­ux et des calottes polaires. Et il n’existera plus que de petites zones minoritair­es avec une baisse du niveau marin », commente Françoise Vimeux.

Partout, même en Islande, l’élévation du niveau de la mer n’a pas fini d’être un problème. « Si l’on stoppait aujourd’hui toutes nos émissions de gaz à effet de serre, les niveaux de la mer continuera­ient d’augmenter dans 1 000 ans », conclut la climatolog­ue.

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| CRÉDIT PHOTO : PHOTO D’ILLUSTRATI­ON : MARCEL MOCHET/ ARCHIVES AFP Des icebergs se détachent du glacier Vatnajökul­l, la plus grande calotte glaciaire d’Islande, avant de flotter vers la mer.

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