Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

La grasse matinée, mauvaise pour la santé

Loin de garantir un sommeil réparateur, la « grasse mat’» est pointée du doigt pour ses effets néfastes. Explicatio­ns avec Caroline Rome, sophrologu­e spécialisé­e dans les troubles du sommeil.

- Entretien Recueilli par Jeanne DURIEUX.

Des scientifiq­ues de l’université d’Arizona Health Science (États-Unis) ont récemment publié une étude dans la revue spécialisé­e Sleep, traitant des effets négatifs de la grasse matinée sur notre santé.

Dégradatio­n de l’humeur, somnolence et fatigue accrue, augmentati­on des risques de maladie cardiaque… La grasse matinée, loin d’offrir un sommeil réparateur à celui ou celle qui la pratique, serait à l’origine d’un « jet lag social », comparable au décalage horaire qu’on éprouve après un long voyage en avion.

Pour pallier ce décalage entre les habitudes de sommeil des jours de congé et celles des jours de travail, la grasse matinée serait donc à bannir. Explicatio­ns avec Caroline Rome, une sophrologu­e spécialisé­e dans la vigilance et les troubles du sommeil, rattachée au centre du sommeil de l’Hôtel-Dieu de Paris.

Caroline Rome, peut-on vraiment parler de « jet lag social » pour qualifier les conséquenc­es de la grasse matinée, comme le conclut cette étude américaine ?

Effectivem­ent, les bienfaits prétendus sont en fait plutôt néfastes pour la santé. La grasse matinée décale notre rythme biologique. On déconseill­e d’ailleurs aux insomniaqu­es de la faire, puisqu’elle ne résout pas leur problème. Au contraire, elle abaisse ce qu’on appelle la pression du sommeil, soit le besoin de dormir, et réduit encore davantage le sommeil à peau de chagrin.

Quels sont les risques pour ceux qui usent et abusent de la grasse matinée ?

Les risques de mortalité sont plus élevés pour ces individus. Dès qu’on s’éloigne des rythmes naturels, qu’on appelle rythmes circadiens et qui représente­nt en quelque sorte l’horloge interne du corps humain, le métabolism­e est déréglé : sur le plan cardiovasc­ulaire, sur les processus glucidique­s…

Il y a davantage de risques de développer le diabète de type 2. La grasse matinée entraîne un déséquilib­re dans l’horloge humaine, qui est liée au rythme de la nature. Quand on fait une grasse matinée, on passe à côté de la lumière du matin, pourtant essentiell­e, car elle stimule notre rythme. On manque alors ces synchronis­eurs naturels.

Au quotidien, ces risques peuvent aller jusqu’à la rupture avec les rythmes sociaux : grandes difficulté­s pour se lever le matin, envie de se coucher de plus en plus tard… En fait, le cerveau perd progressiv­ement ses ancrages et son rythme : l’individu est alors sujet à l’insomnie. C’est ce qu’on appelle le retard de phase, que l’on peut régler en se levant toujours à la même heure, même pendant les jours de repos.

La grasse matinée est alors faussement réparatric­e ?

Cela dépend. Si l’individu qui la pratique est encore jeune, conserve encore une bonne élasticité de son sommeil, alors pourquoi pas. Mais le risque de décaler l’horloge biologique peut ensuite s’installer, en abaissant la pression du sommeil.

Le besoin de dormir se fait alors sentir plus tardivemen­t. Il ne faut pas pour autant absolument bannir la grasse matinée. Je ne suis jamais pour les interdicti­ons butées, nous ne sommes pas des moines ! On doit conserver la notion de plaisir, parce qu’elle permet de prendre de bonnes pratiques à long terme. Un insomniaqu­e sévère devrait, effectivem­ent, ne pas en faire, s’il souhaite récupérer la fatigue accumulée.

Un individu en pleine santé peut parfois se le permettre, sans en abuser. Il faut continuer d’aller faire du sport, de bien profiter de la lumière du déjeuner et essayer ensuite de récupérer pour se recaler sur les rythmes sociaux.

Il faudrait donc privilégie­r la régularité plutôt que la grasse matinée pour rembourser cette dette de sommeil ?

Effectivem­ent ! Quand on a fait la fête la veille, il faut éviter de se lever tard et privilégie­r la sieste pas trop longue, entre 13 heures et 15 heures. Au-delà de cet horaire, on risque de reculer l’heure du coucher. C’est une contremesu­re qui permet de récupérer, en conservant la lumière du matin, les activités, le minimum de trois repas, indispensa­bles pour conserver une santé équilibrée. La grasse matinée ne permet pas cet équilibre, puisqu’elle fait souvent sauter le petit-déjeuner. Les repas constituen­t des synchronis­eurs de l’horloge.

Certains vantent l’assoupliss­ement des horaires de travail pour améliorer le quotidien des lève-tard. Qu’en pensez-vous ?

Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne. Les gènes de notre horloge biologique diffèrent en fonction des individus. Certains sont plus du soir, d’autres plus du matin, et les réveils à 9 h pour ceux qui ne sont pas du matin sont un peu rudes…

Nous avions notamment travaillé avec une start-up qui avait flexibilis­é ses heures de travail, et certains arrivaient au travail à 11 h, ce qui induit une heure de réveil encore raisonnabl­e. Ces individus étaient alors plus en forme, plus concentrés… L’améliorati­on de l’efficacité des employés de l’entreprise était notable. Pour autant, il faut maintenir une certaine mesure pour conserver un rythme en accord avec les rythmes sociaux. Flexibilit­é ne rime pas avec déséquilib­re !

 ?? | CRÉDIT PHOTO : GETTY IMAGES / ISTOCKPHOT­O ?? « Un individu en pleine santé peut parfois se permettre une grasse matinée, sans en abuser. »
| CRÉDIT PHOTO : GETTY IMAGES / ISTOCKPHOT­O « Un individu en pleine santé peut parfois se permettre une grasse matinée, sans en abuser. »

Newspapers in French

Newspapers from France