Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Comment recense-t-on les doyens de l’humanité ?
La Française Lucile Randon, 118 ans, serait la nouvelle doyenne de l’humanité, après le décès de la Japonaise Kane Tanaka. Mais comment recense-t-on ces personnes à la longévité exceptionnelle ?
Après la mort de la Japonaise Kane Tanaka, décédée le 25 avril à 119 ans, c’est la Française Lucile Randon – en religion soeur André – âgée de 118 ans, qui devient la nouvelle probable doyenne de l’humanité. Cette nomination pose en filigrane la question du recensement des « supercentenaires », en France et à l’étranger, fait par le Gerontology Research Group. Organisme de chercheurs en gérontologie créé en 1990, basé à Los Angeles (ÉtatsUnis), il a pour objectif de maintenir une liste de personnes super-centenaires dans le monde par le biais des preuves d’extrême longévité qu’il collecte. Il fait autorité en la matière.
Cyril Depoudent, vous êtes correspondant bénévole au Gerontology Research Group (GRG) depuis 2012. Dans le cadre de cette activité, quelles sont vos missions ?
Ma tâche consiste, avec les autres correspondants français, à recenser les supercentenaires en France. Lorsqu’ils atteignent l’âge requis pour intégrer le registre du GRG, soit 113 ans actuellement, je rassemble une documentation sur laquelle je m’appuie pour rédiger un rapport montrant que la personne a bien l’âge revendiqué. Ça n’est pas toujours le cas, mais en France, c’est assez rare qu’il y ait des erreurs. J’envoie ensuite ce dossier à Robert Young, dirigeant du GRG et correspondant du Guinness Record , à qui Robert Young envoie ensuite mon travail.
Auparavant, l’âge requis pour être validé en tant que supercentenaire par le GRG était de 110 ans : cependant, la population mondiale vieillit, et les pays dont l’état civil s’est modernisé plus tardivement que le nôtre produisent davantage de super-centenaires avec des actes de naissance valides.
Comment constituez-vous fameux dossier ?
L’idée tient au fait de collecter un maximum de documents qui s’échelonnent tout au long de la vie de la personne. On part généralement d’un acte de naissance, comme c’est le cas pour soeur André. On s’appuie
ce ensuite sur des recensements. Les reconstitutions familiales sont également utiles : les arbres généalogiques permettent de donner une idée de la longévité moyenne familiale. En outre, nous nous assurons par ce biais qu’il n’y a pas eu de substitution entre deux frères et soeurs. Le dossier repose également sur le recensement d’articles de presse qui médiatisent les personnes âgées et nous donnent des informations sur leur vie.
Dans le cas de soeur André, cette dernière a raconté sa vie aux journalistes et a notamment affirmé avoir travaillé en tant que gouvernante pour la famille Peugeot, ce qu’on a pu prouver par la suite. J’avais également pu contacter son petit-neveu il y a six ans, pour son dossier de validation au GRG. Celui-ci m’avait transmis sa carte d’identité, sa carte électorale, ses lettres de recommandation de l’époque où elle était gouvernante, etc. En fait, l’enjeu principal tient à la concordance générale des documents recueillis, pour ensuite attester « officiellement » de l’âge du ou de la super-centenaire.
Le palmarès des supercentenaires en France est-il exhaustif ?
Le cas français est particulier, du fait du caractère privé des données : en fait, tant que le centenaire ou supercentenaire est vivant, si lui ou sa famille ne souhaitent pas rendre son existence connue, alors les données restent privées. Lorsque la personne décède, un formulaire qui renseigne toutes les informations est rempli en mairie, pour être ensuite envoyé à l’Insee, qui renouvelle sa base de décès tous les mois. C’est ainsi qu’on découvre des supercentenaires décédés, dont la longévité n’avait pas été médiatisée. A priori, l’Insee est donc supposé avoir dans ses bases tous les centenaires de France. Mais l’Insee recense même des supercentenaires qui ne devraient pas être inscrits dans cette base de données, car ils sont décédés.
Il y a donc actuellement trente supercentenaires reconnus en France. Il est possible qu’il y en ait d’autres qu’on ne connaisse pas mais, en général, les âges vraiment exceptionnels sont souvent médiatisés. En outre, nous nous efforçons de rechercher ces supercentenaires en amont, en recensant les hommes qui atteignent l’âge de 104 ans et de 107 ans pour les femmes. Certains sont ensuite chargés d’appeler les maisons de retraite pour vérifier si telle personne a bien fêté son anniversaire. On effectue un suivi d’année en année, jusqu’à les intégrer finalement au palmarès du GRG.
Pensez-vous qu’on vit plus longtemps qu’avant ?
C’est une grande question qui fait débattre beaucoup de scientifiques, et elle est loin d’être tranchée ! À mon échelle, je ne peux que constater que les doyens de l’humanité sont de plus en plus vieux. Pour son époque, Jeanne Calment était une « aberration statistique » : elle était en avance, clairement, sur son temps. Il est vrai que récemment, on a recensé plusieurs doyennes de 117 ans.
Comment expliquer cette augmentation ?
C’est difficile à dire pour les très grands âges. Les progrès médicaux ont certainement permis qu’une plus grosse cohorte de personnes devienne centenaire. Parmi celles-ci, les statistiques nous disent qu’un tiers environ décède chaque année, la moitié à 110 ans. En outre, l’amélioration des états civils des pays joue un rôle certain dans l’augmentation du nombre de supercentenaires reconnus, ne serait-ce qu’au Japon, dont l’état civil devient davantage fiable.
Quels sont les pays les plus titrés ? Au niveau européen, c’est assurément la France ! Elle a, je crois, l’état civil le plus vieux au monde, ce qui nous offre une base de recherches fiable. En outre, elle est l’un des pays les plus peuplés d’Europe.
Quelle est la recette miracle pour vivre si longtemps ?
On ne sait pas trop. C’est vrai qu’au niveau génétique, en reconstituant les arbres généalogiques, on peut tomber sur des personnes très âgées dans les ascendants directs de la supercentenaire, ce qui pose la question du rôle de la génétique. En fait, ces doyennes (il n’y a pas beaucoup d’hommes) ont, pour la plupart, une réelle envie de vivre ! Kane Tanaka était très en forme jusqu’à la fin de sa vie. Quand elle est devenue doyenne de l’humanité, on lui a demandé quel était le moment le plus heureux de sa vie, ce à quoi elle a répondu : « Maintenant ! » Ces personnes ne se laissent pas aller. Chacun a sa recette particulière : Jeanne Calment disait manger un kilo de chocolat par semaine ; Emma Morano (supercentenaire italienne) mangeait trois oeufs par jour, deux crus et un cuit.
Comment pensez-vous que ces supercentenaires perçoivent cette notoriété ?
Je pense que ça dépend. Lucile Randon est très humble, peut-être de par sa nature de religieuse. Elle en sera, je pense, assez fière quand même… Par exemple, Jeanne Calment était très contente d’être doyenne de l’humanité. Il y a sûrement un petit sentiment de fierté, d’être parmi les plus âgés du monde !
Des Françaises doyennes de l’humanité
Marie-Virginie Duhem (1866 1978) : 111 ans et 266 jours Augustine Tessier (1869 - 1981) : 112 ans et 65 jours
Jeanne Calment (1875 - 1997) :
122 ans et 164 jours
Marie Brémont (1886 - 2001) :
115 ans et 42 jours
Eugénie Blanchard (1896 - 2010) : 114 ans et 261 jours
Lucile Randon (1904) : 118 ans,
74 jours