Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Les Sud-Coréens pourraient bientôt rajeunir d’un an
Le Président de la Corée du Sud souhaite supprimer le calcul traditionnel de « l’âge coréen », qui n’est pas basé sur la date de naissance. La population se verrait ainsi rajeunir d’un an, voire deux.
« Quel âge as-tu ? » C’est une question simple dont la réponse est en principe tout aussi simple… Sauf pour les Coréens ! Ceux-ci emploient en effet plusieurs méthodes pour calculer l’âge d’une personne. Les confusions engendrées par ce système hybride ont poussé la Corée du Sud à tenter plusieurs fois de se caler officiellement sur la méthode internationale, basée sur la date de naissance, mais sans réel succès pour l’instant.
Une question, trois réponses
En fait, il y a trois façons de répondre à la question « Quel âge as-tu ? » en Corée du Sud. Officiellement, le pays utilise depuis 1962 le système international, identique à celle que nous connaissons en France et qui est répandu dans le monde entier, reposant sur la date anniversaire de la naissance.
Cependant, la Corée du Sud utilise aussi une deuxième méthode, issue de traditions ancestrales : le système du Hanguk-nai, le calcul de « l’âge coréen ». Le principe ? Il consiste à prendre aussi en compte les neuf mois que l’enfant passe dans le ventre de sa mère avant de venir au monde. En clair, les Sud-Coréens atteignent déjà l’âge d’un an dans la première année de leur vie et ils conçoivent que l’âge est basé, non pas sur le vécu d’une personne, mais sur la durée complète de son existence, depuis sa conception. L’origine de ce système reste floue, bien qu’on puisse l’attribuer à l’influence bouddhiste sur la perception de la vie et de la naissance en Asie. Certains théoriciens l’attribuent aussi à l’absence du concept de zéro dans le système numérique ordinal chinois.
Enfin, le troisième système, lui aussi officiel en Corée du Sud, consiste à attribuer à l’enfant nouveau-né un an de plus dès le 1er janvier suivant, lors du passage de la nouvelle année selon le calendrier grégorien.
Dans cette optique, un enfant né en décembre 2021 pourrait théoriquement avoir soufflé deux bougies dès janvier 2022 ! Néanmoins, si le système de calcul de l’âge coréen provient de Chine et de différentes régions d’Asie, la Corée du Sud est le dernier pays d’Asie à l’employer (la Corée du Nord aurait abandonné le système en 1982). C’est que cette méthode ancestrale, gravée dans les moeurs, génère de nombreux problèmes.
Le 3 janvier 2019, le député sud-coréen Hwang Ju Hong, issu du Parti pour la Démocratie et la Paix, soumettait déjà une proposition de réforme à l’Assemblée nationale, en vue d’établir une loi garantissant la reconnaissance de l’âge international dans les documents officiels et l’utilisation immédiate de ce système.
Cité dans un article d’Insider, il soutenait aussi l’utilisation quotidienne de cette méthode de calcul, soulignant les effets négatifs du système du Hanguk-nai, notamment « le gaspillage de coûts administratifs inutiles, la confusion dans l’échange d’informations en raison de la différence avec d’autres pays et le conflit dû à la promotion d’une culture* de hiérarchie basée sur l’âge et l’évitement de certains mois pour l’accouchement ».
De fait, une partie de la population réprouve cette méthode ancestrale, pointant les inconvénients économiques et sociaux. Un récent article du magazine GEO raconte que certains parents sud-coréens auraient essayé de tromper le système d’enregistrement des naissances, par crainte de voir leur bébé de décembre désavantagé à la crèche ou à l’école.
En outre, les autorités sanitaires sud-coréennes ont utilisé durant la pandémie de Covid-19 l’âge international et l’âge coréen de manière interchangeable pour définir la tranche d’âge d’éligibilité au vaccin, source de confusions. Se pose également la question de l’âge du départ à la retraite.
De l’importance de l’âge
Le projet de réforme de 2019 n’a pas abouti et bien qu’il ait été suivi d’une nouvelle proposition similaire en 2021, la loi n’a jamais été promulguée.
Par la suite, Lee Yong-ho, chef du comité de transition du Président élu, a déclaré récemment sa volonté de normaliser la façon dont l’âge est compté afin d’aligner la Corée du Sud sur le reste du monde et d’éviter les confusions persistantes ainsi que les complexités administratives… Mais la mise en oeuvre du projet reste sujette à controverses : en Corée du Sud, les traditions ont la peau dure.
En effet, dans une société hautement hiérarchisée en fonction de l’âge, ce dernier n’est pas simplement un chiffre. « Pour les Sud-Coréens, déterminer si quelqu’un est plus âgé ou non est plus important que de trouver son nom dans un contexte social. C’est essentiel pour savoir comment s’adresser à cette personne et le titre honorifique qui lui est requis », expliquait à la
BBC Shin Ji-Yong, professeur au département de langue et littérature coréennes de l’université de Corée. En outre, Jang Yoo-Seung, chercheur principal au Centre de recherche sur les études orientales de l’université Dankook, insistait sur le symbole de tradition que représente l’âge coréen, pointant les risques pour la Corée « d’abandonner sa singularité et sa culture et de devenir plus monotones ».
Les deux chercheurs s’accordent ainsi pour dire que, même si l’âge international venait à être adopté grâce à la proposition du président sudcoréen, il est très improbable que les Sud-Coréens cessent aussitôt d’utiliser leur « âge coréen ».