Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Derrière tous les clichés, la vérité sur le métier de détective privé

Mystérieux, fantasmés, redoutés… Qui sont vraiment les détectives privés ? Derrière les clichés véhiculés par le cinéma, immersion dans les coulisses d’une profession complexe et réglementé­e.

- Dossier : Camille DA SILVA.

Pas de lunettes noires, de chapeau en feutre, ni de cigare au bec pour Maël Jan. Avec ce détective privé basé à Angers (Maine- et- Loire), c’est plutôt look décontract­é : petite chemise, jean et chaussures de ville, bien loin des clichés qui collent à sa profession. « C’est mieux pour rester incognito », sourit l’enquêteur. Dans sa petite voiture qui ne paye pas de mine, le quadragéna­ire est en planque sur le parking d’une zone industriel­le. « Savoir se positionne­r au bon endroit, c’est la clef du métier. »

Ce jour- là, il suit un homme d’une quarantain­e d’années que sa mère cherche à recontacte­r. « Au début, la cliente suspectait une emprisemen­tale. » Comprenez une manipulati­on par un proche malveillan­t ou un gourou. C’est d’ailleurs la spécialité de cet enquêteur, à la tête de l’agence Au Service de la Preuve depuis neuf ans. « Mais d’après mes recherches, il s’agirait d’une simple rupture familiale. »

Après avoir retrouvé l’homme, il tente maintenant de définir son emploi du temps en le suivant. « J’analyse sa situation, ses habitudes… L’idée est d’établir une stratégie pour entrer en contact avec lui. »

Dans sa voiture, pas de gadgets et surtout pas d’arme. Juste « un téléphone, un caméscope, un appareil photo ». Car le principal outil de Maël, c’est sa tête. Son regard est vif, attentif, toujours à l’affût du moindre mouvement.

Filature sportive

Rien ne prédestina­it notre enquêteur à se retrouver en planque sur les hauteurs de l’Anjou. Après un diplôme en droit, il tente le concours de la police, travaille finalement dans les assurances, et cherche à se reconverti­r en 2011. « J’ai connu le métier de détective par hasard, c’est un ami qui m’en a parlé, sourit Maël. C’était un bon compromis et çame correspond­ait. » Il s’inscrit dans une formation reconnue et met le pied à l’étrier en 2013. « Je ne regrette pas. C’est une activité prenante, très solitaire, il faut en être conscient. Mais il n’y a pas de routine, chaque affaire est un nouveau challenge. »

Soudain, un mouvement. Il se tait. La cible sort de son lieu de travail. L’enquêteur prévient : « Attention, le piège c’est de le fixer. Il faut éviter les croisement­s de regards, au risque d’être « détronché », comme on dit dans le jargon. » Démasqué, en d’autres termes. L’homme entre dans sa voiture, Maël met le contact, sa caméra embarquée filme, la filature commence. « Dès que ça bouge, il y a de l’adrénaline. »

L’enquêteur ne lâche pas l’homme d’une semelle, sa conduite est sportive, la circulatio­n dense. « Le plus compliqué, c’est de trouver la bonne distance. Il faut jongler ! » Après dix minutes de filature rythmée, le trajet travail- domicile de sa cible est établi. L’enquêteur est ravi, le dossier avance.

« Une affaire, un nouveau challenge »

Le métier de Maël est l’objet de tous les fantasmes. Sûrement la faute à Hollywood et à tous ces films mettant en scène des détectives privés. Pendant longtemps, sa profession était même surnommée « la brigade des cocus », référence aux affaires d’adultère qui la caractéris­aient. « La profession a beaucoup évolué, se défend l’enquêteur. Et c’est maintenant très réglementé par les autorités publiques. »

Ses clients sont des particulie­rs, mais aussi des entreprise­s, des avocats ou des huissiers. « On fait toujours des dossiers d’adultère mais on traite de plus en plus d’affaires de concurrenc­e déloyale, de vol, de fraude à l’assurance… Des gens nous solliciten­t aussi pour retrouver des personnes, relancer des enquêtes. On ne déborde pas sur le domaine de la police, mais on apporte une complément­arité. »

En moyenne, notre enquêteur prend deux dossiers par mois. « Comme on est une profession libérale, les tarifs sont libres. En pratique, on est entre 60 et 100 € de l’heure. Selon les affaires, il faut compter entre 20 et 40 heures de travail. » Les détectives ont une obligation de moyens, mais pas de résultats, et les techniques d’investigat­ion sont multiples : « On va principale­ment utiliser la filature, la surveillan­ce, les réseaux sociaux, les documents accessible­s à tous… L’idée, c’est de creuser des pistes pour apporter des réponses à nos clients. »

Mais les interdicti­ons sont nombreuses : pas d’écoute téléphoniq­ue, pas de traceur GPS, pas de photos dans les lieux privés… Le détective doit respecter un cadre légal et l’atteinte à la vie privée doit être proportion­nelle au droit défendu. « C’est toute la complexité de notre métier. »

Les conclusion­s des enquêtes sont toujours retranscri­tes dans un rapport final, avec photos et explicatio­ns détaillées. Ce document, s’il respecte bien les règles, est recevable en justice comme un élément de preuve pour défendre les intérêts d’une entreprise ou d’une personne. « C’est un métier qui a du sens », conclut fièrement notre détective, définitive­ment convaincu par son choix atypique de vie.

« Dans le monde judiciaire, on voit de plus en plus de recours à des détectives privés, dans de gros dossiers. Mais cela reste marginal. Le phénomène, assez nouveau en France, correspond davantage aux sociétés anglosaxon­nes. Chez nous, c’est d’abord au parquet, au ministère public, à la police de faire une enquête. Cette forme de privatisat­ion de la justice heurte nos principes républicai­ns. »

Richard Malka

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| PHOTO : OUEST-FRANCE Ici, Maël Jan, détective privé basé à Angers, spécialisé dans les affaires d’emprise mentale.
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| PHOTO : OUEST-FRANCE Le détective Maël Jan dans son bureau.
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| PHOTO : GETTY IMAGES, STOCKPHOTO L’appareil photo, outil essentiel.
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