Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Dans les coulisses d’une école de détectives privés
Une école de détectives privés ? En voilà une drôle d’affaire. Mais il n’y a pas de quoi rire, c’est même très sérieux. En France, n’importe qui ne peut pas être détective. Depuis une dizaine d’années, la loi exige d’être diplômé d’une formation reconnue par l’État pour pouvoir exercer. Il existe donc deux écoles privées (l’Esarp à Paris et l’Institut de formation des agents de recherche, à Montpellier) ainsi que deux formations universitaires ( rattachées à l’université de Nîmes et Paris II). Et dans ces cursus, la formation est aussi originale que le métier.
À l’École supérieure des agents de recherches privées, à Paris, la journée de cours ne commence pas derrière un bureau mais dans la rue. « Tout le monde se réunit s’il vous plaît, on va commencer », exhorte Thibault Zandecki, formateur de 27 ans. Aujourd’hui, c’est cours de filature. Par groupes, les élèves joueront un scénario pour s’entraîner à pister une personne. « On va partir sur une affaire de concurrence déloyale, détaille Thibault. Un élève jouera l’enquêteur, un autre la cible. »
Techniques d’enquête et cours de droit
À peine les instructions énoncées, Helvy Hupont, 22 ans, l’enquêtrice du jour, se lance. Elle doit suivre la cible à pied, puis en voiture. La jeune femme se donne à fond, elle accélère le pas, saute dans sa voiture, prend des photos, se met en surveillance dans un café… Le rythme est intense. Après une heure d’entraînement, débriefing et quelques conseils. « Un bon détective doit être réactif, rappelle le formateur. Il faut savoir se fondre dans la masse, s’adapter et surtout, être curieux. »
À l’Esarp, école créée en 2011 sous l’impulsion du syndicat majoritaire (le Snarp), et en convention avec l’Éducation nationale, on apprend « à exercer correctement le métier de détective », explique Samuel Mathis, 49 ans, directeur de l’établissement. Deux formations y sont dispensées : celle de « directeur d’agence de détectives », accessible à bac +2, avec 1 200 heures d’enseignement sur un an ; et celle de « collaborateur », avec 640 heures, accessible au niveau bac.
« Être espionne me faisait rêver »
Ces formations, principalement financées par des subventions, sont composées de travaux pratiques, de séances théoriques et de périodes de stage. Vingt- deux professeurs y dispensent des techniques d’enquête, des cours de déontologie, de cybercriminalité, de dérives sectaires, d’accueil clients ou de gestion d’agence.
Mais aussi, et surtout, des cours de droit : « C’est une profession juridique, technique et drastiquement réglementée, énumère le directeur. Ça appelle à une parfaite maîtrise de la loi, une véritable expertise. »
Dans la classe du jour, on compte une vingtaine d’élèves, avec autant de filles que de garçons. Ils viennent de partout en France et ont entre 22 et 59 ans. Certains sont en jean- baskets, d’autres en costume- cravate. Malgré ce décalage règne une bonne ambiance.
Parmi eux, des anciens cadres dans l’industrie ou la banque, des étudiants en droit ou en psychologie, un ancien serveur ou encore un militaire. « J’ai vingt- sept ans d’expérience en informatique, confie Stéphane Quenard, 52 ans. Après un licenciement, j’ai eu une grosse remise en question. Je voulais remettre le relationnel au coeur de mon métier. »
Pour d’autres c’est une histoire de passion. « Au collège, j’étais complètement perdue, raconte Helvy Hupont. J’étais à fond dans les films genre Mission impossible, être espionne me faisait rêver. Le métier qui s’en rapprochait le plus était détective privé et ça m’a tout de suite plu. » Pour être acceptés dans l’école, ces élèves ont dû passer des tests et faire l’objet d’une enquête de moralité, un peu comme lorsque l’on veut devenir policier. « C’est un cursus sélectif, explique le directeur. Il y a un contrôle continu et un examen final, avec un jury et un mémoire à rendre. »
Au niveau national, une cinquantaine de directeurs d’agences et une trentaine de collaborateurs sont diplômés chaque année des différents organismes de formation. Tous sont habilités à exercer dans le domaine du renseignement privé. « On a environ 86 % d’insertion professionnelle », se félicite Samuel Mathis. Et quand on l’interroge sur les débouchés, la réponse est sans appel : « C’est non seulement un métier d’avenir, mais c’est surtout un métier passionnant. »