Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Anthony Delon ou le pardon d’un fils

Le fils d’Alain Delon publie un livre de confession­s nommé Entre chien et loup sur le clan familial. Sans concession mais avec une volonté de pardonner.

- Philippe LEMOINE.

Quand il arrive dans le café des Deux Magots, au coeur de Saint- Germaindes- Prés, où il donne l’essentiel de ses rendez-vous, Anthony Delon a la démarche à l’aise des habitués.

Le pas énergique et le blouson en cuir, il balaie la salle d’un regard et repère immédiatem­ent le journalist­e qui l’attend. Quand il s’assoit, difficile de ne pas (discrèteme­nt) le dévisager pour chercher la ressemblan­ce avec son père…

Elle est troublante. À 57 ans, Anthony Delon possède la classe de la maturité bien entretenue. Svelte, le regard vert et la barbe naissante, il a des traits et des attitudes de son père, son côté félin ; il a aussi la beauté tendre de sa mère Nathalie Delon, aujourd’hui décédée. Le couple aura été marié moins de cinq ans.

De cette union aussi rapide que volcanique va naître un enfant auquel il faudra des années pour se remettre d’une constructi­on chaotique, entre les fragilités d’une mère et la dureté invraisemb­lable d’un père dominé par des blessures d’enfance et un ego surdimensi­onné.

« Les jours sans… »

Anthony Delon en a fait un livre, Entre chien et loup, à la lecture édifiante sur ce clan Delon qui anime les rubriques people depuis les années 1960. « En écrivant ces pages, plein de choses me sont remontées, et j’en ai compris d’autres… J’ai décidé de les remettre à leur place. » Pas pour se guérir « ça, je l’ai fait avant. Mais parce que j’ai un projet de série télé sur ma famille. Le scénario est d’abord devenu un livre ».

Sur son enfance et son adolescenc­e, il se livre librement. Pourtant, certains souvenirs sont cuisants… Ils parlent de ces « jours sans ». Ceux où la face sombre de son père l’emportait.

Il se souvient de ce déjeuner où petit, il se tenait mal à table. « C’est la fourchette qui va à la bouche, pas le contraire », s’agace son père. Au bout de la troisième remarque, ce dernier balance son assiette par la fenêtre en hurlant : « Tire- toi dans ta chambre ! »

La suite ne tarde pas à arriver. « À nouveau possédé par ses démons, raconte- t- il, il a surgi un gros fouet de cuir à la main. » Les coups claquent. De la douleur physique, Anthony ne garde aucun souvenir. Une phrase a laissé une cicatrice beaucoup plus profonde : « Même mes chiens, je ne les frappe pas avec ce fouet… » Détail diabolique, c’était le fouet du film Zorro, dans lequel Alain Delon incarnait ce héros censé faire rêver les enfants…

D’autres humiliatio­ns suivront. « Mon père a tenté, à de nombreuses reprises, de me plier, de m’affaiblir et ce depuis l’âge de 10 ans. L’âge où je suis devenu un homme selon lui. »

Un fouet et des humiliatio­ns

Plus tard, il fera capoter sa ligne de blousons de cuir qui aurait pu faire de l’ombre à ses propres produits dérivés, lui interdira de tourner une publicité lucrative au Japon : « Moi vivant, jamais. Il n’y a qu’un seul Delon au Japon, c’est moi ».

« Il était capable de ne donner aucune nouvelle pendant des mois et surtout de ne pas en prendre ». Anthony apprendra par la radio la naissance de sa soeur Anouchka… « C’est d’une violence ! »

Malheureux, il fera « des conneries et un peu de prison ». Prendra le chemin de son père comme acteur espérant sa reconnaiss­ance, qui n’arrivera que très rarement. « Une fois, après une représenta­tion au théâtre où il était exceptionn­ellement venu me voir, il m’a dit : « On ne voyait que toi sur la scène ». Mais j’ai compris qu’il parlait à l’acteur et non à son fils. »

Un parrain aimant

Heureuseme­nt, des hommes et des femmes ont su le protéger, le canaliser. Ce fut le cas de son parrain, Georges Beaume. « Il a toujours été là pour moi, comme une figure paternelle aimante. » Et Mireille Darc, compagne d’Alain Delon pendant quinze ans. « Elle était très affectueus­e et bienveilla­nte avec moi, sans jamais remplacer ma mère. » Sa mère, une femme libre, aimante mais souvent absente menant durant la petite enfance d’Anthony une vie d’excès.

Aujourd’hui, Alain Delon a 86 ans. « Il se remet de son AVC, il vamieux. Je crois même qu’il aimerait bien tourner dans un film. Nos relations se sont apaisées. »

Pour le fils, la colère et la rancoeur ont laissé la place au pardon. « Ce sont des sentiments négatifs avec lequel on ne peut pas vivre. J’ai compris que mon père s’est comporté comme ça avec moi car lui- même a été un enfant malheureux et abandonné, placé à 4 ans dans une famille d’accueil au divorce de ses parents. Quand il avait 17 ans, sa mère a signé une décharge pour qu’il parte faire la guerre en Indochine… C’est ça l’amour d’une mère ? »

Alain Delon a lu le livre. « Il y a euun déclic chez lui. Je crois que lui aussi a commencé à faire la paix avec luimême. »

Entre chien et loup, Anthony Delon, Le Cherche- Midi, 183 pages, 18,50 €.

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| PHOTO : LE CHERCHEMID­I Anthony Delon a vécu une enfance compliquée auprès d’Alain Delon, un père très difficile à vivre.

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