Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

« Il faut davantage consulter les enfants »

L’Unicef a interrogé 25 300 enfants sur leur perception de leur bien- être. Décryptage avec Agnès Florin, professeur­e émérite en psychologi­e de l’enfant et de l’éducation à l’université de Nantes.

- Propos recueillis par Pascale LE GARREC.

Agnès Florin a participé avec quatre autres contribute­urs au rapport La jeunesse à bonne école, pour l’Unicef. 25 300 enfants, de 6 à 18 ans, y ont été consultés sur leur bien- être dans leur vie quotidienn­e en 2020-2021.

Pourquoi consulter les enfants ?

On les consulte de plus en plus parce que c’est un droit, au sens donné par la Convention internatio­nale des droits de l’enfant (Cide) et parce qu’ils peuvent apporter une expertise de leur vie pour la définition des politiques publiques.

Leur avis est davantage pris en compte ?

Je dois dire qu’en France, on n’en est pas tout à fait là. Il a fallu près de quarante ans pour considérer qu’il fallait intégrer le point de vue des adultes sur l’éducation, la santé, le logement, l’environnem­ent, dans les évaluation­s des politiques publiques. On espère que cela ne prendra pas aussi longtemps pour les enfants.

La consultati­on de l’Unicef s’intéresse notamment au bien-être à l’école. Que disent les enfants ? Une majorité s’y sent bien. 80 % évaluent positiveme­nt les relations avec les copains et les pairs (les autres enfants), les activités scolaires, la classe et aussi le sentiment de sécurité, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de harcèlemen­t.

Que jugent-ils négativeme­nt ?

Les enfants évaluent négativeme­nt leurs relations avec les enseignant­s. Plus de 50 % d’entre eux trouvent qu’ils ne les félicitent pas assez, ils ont peur quand les professeur­s veulent parler à leurs parents car, en général, c’est qu’il y a un problème.

Il y a un autre point négatif ?

C’est le rapport aux évaluation­s. Les enfants et adolescent­s ont peur des notes, c’est assez typiquemen­t français. Je ne veux pas caricature­r car il y a des enseignant­s et des écoles plus ouverts sur ces questions, mais on a tendance à davantage reconnaîtr­e les fautes, les manques, les erreurs, qu’à valoriser les réussites et les progrès. Cela fait des années qu’on le dit à l’Éducation nationale.

Ça ne change pas ?

Ce rapport aux évaluation­s évolue peu. Il y a les notes et il y a aussi les évaluation­s implicites, les haussement­s d’épaules, les regards au ciel. Dès la petite enfance, on pointe davantage ce qui ne va pas que ce qui va bien. On est inséré dans une forme de pessimisme. Ce pessimisme français, souvent souligné par l’Insee, est ancré dans les institutio­ns dès le plus jeune âge.

Comment la qualité de vie évolue-t-elle au collège ?

Au collège, c’est pire. Les enfants manifesten­t un moindre bien- être parce que beaucoup de choses émergent : l’importance du lien avec les copains et copines, le rapport à la sexualité… Ils perçoivent davantage le monde environnan­t et ils font l’objet de davantage d’exigences.

Et en dehors de l’école ?

La consultati­on Unicef a été faite pendant la pandémie, ce qui amplifie ces sentiments subjectifs négatifs. Un pourcentag­e non négligeabl­e des enfants consultés sont anxieux et manifesten­t des symptômes dépressifs. Près d’un tiers ont peur de ne pas réussir à l’école et de l’avenir. 50 % sont angoissés car ils craignent de ne pas réussir dans la vie.

C’est énorme.

En effet. C’est lié à la peur de l’échec et au manque de sens des apprentiss­ages. Les jeunes estiment ne pas être assez préparés par l’école pour aborder leur avenir sereinemen­t. Cette consultati­on montre aussi que l’école n’est pas le seul lieu où on apprend. Il n’y a pas que les apprentiss­ages scolaires, il y a aussi ceux de la vie quotidienn­e, comme la gestion d’un budget, la santé, les apprentiss­ages sociaux et émotionnel­s, la gestion du stress. Et là, les enfants considèren­t que la famille, premier lieu de vie sociale, apporte plus que l’école.

Ces apprentiss­ages émotionnel­s n’ont pas leur place à l’école ? Contrairem­ent à bien d’autres pays, en France, les compétence­s socioémoti­onnelles sont encore très largement laissées de côté par l’Éducation nationale, même si ça commence à changer. Les textes européens nous aident à avancer. Les compétence­s pour le XXIe siècle, telles qu’elles sont définies au niveau européen, mentionnen­t les apprentiss­ages fondamenta­ux (français, maths…), mais aussi les apprentiss­ages psycho- sociaux : l’estime de soi, l’empathie, savoir s’adapter à des situations nouvelles, interagir avec les autres ou travailler en groupe… Ce sont des compétence­s absolument essentiell­es dans la vie.

Les enfants sont-ils assez consultés à l’école ?

Élire des délégués qui n’ont pas grand- chose à dire aux conseils de classe et qui ont peur de le faire, ce n’est pas une manière d’associer les enfants à leur vie. Comment voulezvous former des acteurs sociaux qui vont s’impliquer dans la vie publique, en participan­t à toutes sortes d’actions, en votant aux élections, si vous ne les avez pas mis en position de donner leur avis quand ils étaient enfants ?

Le rapport montre qu’il y a beaucoup de pensées suicidaire­s…

Ça nous a effrayés. 27 % des 12-18 ans disent avoir déjà pensé au suicide. Et 10 % avoir tenté de se suicider. Ce résultat interroge, est- ce de vraies tentatives de suicide ? Chez les jeunes, ces tentatives doivent toujours être vues comme un appel à l’aide. C’est une manière de dire : « Jen’yarrive plus, faites quelque chose pour moi. » Ça ne se traite jamais simplement par de bonnes paroles, il faut toujours faire appel à des profession­nels de santé. Mais nous avons un tabou sur la santé mentale.

Quel est ce tabou sur la santé mentale ?

En France, dans l’esprit d’un grand nombre de gens, ça concerne les fous. Or, la santé, c’est la santé physique mais aussi mentale. Tout ce qu’on investit dans la petite enfance, pour la prévention des troubles mentaux, c’est autant de gagné pour après. C’est un gain pour les parcours scolaires et les parcours de vie. Et même – certains économiste­s l’ont montré – pour l’accès à l’emploi, pour un moindre recours aux services de santé, de justice.

Vous dites pourtant que, dans l’ensemble, enfants et ados vont plutôt bien ?

Globalemen­t, ils ont une bonne satisfacti­on de vie. Et toutes nos études sur la population générale montrent que ça va plutôt bien.

Journées scientifiq­ues sur le bien- être des enfants à l’ère de la pandémie, à Nantes, les 2 et 3 juin.

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| PHOTO : ARCHIVES VINCENTMIC­HEL, OUEST-FRANCE Selon le rapport de l’Unicef, 80 % des enfants apprécient les relations avec leurs camarades à l’école.
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| PHOTO : GUILLAUME SALIGOT, OUEST-FRANCE Agnès Florin professeur­e émérite en psychologi­e de l’enfant et de l’éducation.

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