Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Ils viennent comme ils sont dans les restos près des centres commerciaux Restos près des centres commerciaux
Implantés dans les zones commerciales, ces restos ne font pas la course aux étoiles. On y vient en famille, sans y dépenser trop. Reportage d’une tranche de vie ordinaire à Saint- Malo.
« Pour le jeune homme, des nuggets. » Bastien, petit gars brun de 4 ans, suit de ses yeux gourmands l’assiette que la serveuse pose devant lui. « Et voilà les petites frites ! » poursuit- elle, en les mettant devant Léo, 1 an et demi, assis sur une chaise haute. « Bon appétit ! » Avec leurs parents, Joséphine, 34 ans, et Raphaël, 35 ans, ils sont parmi les premiers arrivés en ce mercredi des vacances de printemps au Buffalo Grill de Saint-Malo (Ille- et-Vilaine). Il n’est pas encore midi.
À l’extérieur, le grand totemrouge de l’enseigne déploie ses ailes sur l’un des ronds-points d’entrée dans la cité corsaire. À côté d’un hôtel Ibis. Derrière, il y a le centre commercial de La Madeleine avec son hypermarché Carrefour et un magasin Cultura. Autour ? Chaussea, Celio, Norauto, Burger King et bien d’autres enseignes qui peuplent les périphéries des villes. On n’est pas sur les remparts face à la mer, ni dans l’un des restaurants de l’Intra- muros historique de Saint- Malo.
Les restos implantés près des centres commerciaux et dans les zones d’activités, comme Buffalo Grill mais aussi Flunch, Pizza del Arte, La Pataterie ou Courtepaille, ne font pas la course aux étoiles. Ils sont souvent standardisés et appartiennent à des chaînes. Parfois, c’est l’un des rares restaurants qu’on peut se permettre. Des clients du Buffalo Grill de Saint- Malo racontent ce qu’ils viennent y trouver.
« Pas gêné quand les enfants font du bruit »
« Au départ, on voulait aller dans une crêperie, mais ça ouvre plus tard », note Joséphine. Sa famille et elle sont belges, en vacances sur la côte bretonne. « Buffalo Grill est très kids friendly. Pour les premiers restos des enfants, c’est l’idéal », explique- t- elle. Son fils et son compagnon sont assis sur une banquette rouge vif. Dans leur dos, un cow- boy s’éloigne vers l’horizon, dans une grande image de plaine de l’Ouest américain. Avant la naissance de leurs garçons, le couple n’avait jamais mis les pieds dans ce type d’enseigne. « Ici, quand les enfants font du bruit, on n’est pas gêné car ceux d’à côté en font aussi », souligne Raphaël. « Oui, on a moins honte », renchérit Joséphine.
Petit à petit, les clients arrivent. Beaucoup de familles. Dès qu’elles franchissent la porte, l’accueil est enthousiaste et souriant. La plupart des salariés ont moins de 30 ans. Des petits cadeaux sont offerts aux enfants : des crayons et un CD de chansons à faire deviner.
« Je suis le grand-père, je fais ce qu’il leur plaît ! »
Dans une pièce un peu à l’écart, des enfants jouent autour d’un écran tactile géant et gratuit. Il y a aussi un jeu d’arcade Mario Kart. « Je vous donne deux jetons et vous revenez tout à l’heure pour les desserts », dit Yvon à ses petits-fils Tomet Ewen, 6 et 8 ans. Voilà ce grand-père seul à table. « Ce jeu me coûte une fortune… 2 € le jeton. Mais qu’est- ce qu’on ne ferait pas pour les petits mignons ! » rigolet- il.
Ce sont les enfants qui ont opté pour ce resto. « Moi, je suis le grand-père, je fais ce qu’il leur plaît ! » Yvon y vient d’ailleurs, de temps en temps, tout seul, en sortant d’une séance de sport quand il n’a pas envie de cuisiner. « Le service ne traîne pas. Ce n’est pas exceptionnel, mais on sait à quoi s’attendre. La formule est bonne », résume- t- il. La marque, avec plus de
« Tu sais ce que tu veux, choupette ? »
Zoé et ses parents ont pris place dans un box. Sur la route des vacances en camping- car. La famille touche au but. « On est à cinq minutes du camping apparemment », raconte Sébastien, 43 ans. Ils arrivent de Saint- Omer (Pasde- Calais) et se sont d’abord arrêtés à la cafétéria de Cora. « Mais onn’apas été convaincu une fois devant, poursuit Amélie, 38 ans. On s’est dit qu’on allait rester dans nos classiques ! » Une petite recherche Google et un Buffalo Grill a été déniché. À peine un crochet. « On connaît la chaîne, on y va quatre à cinq fois par an », enchaîne Sébastien. Lui est carreleur. Elle est esthéticienne dans une structure médico- sociale.
« Tu sais ce que tu veux, choupette ? » demande Elouan, l’un des serveurs. Son bras tatoué d’un des personnages du manga Naruto tape dans l’oeil de Zoé. Elle choisit des nuggets de poulet. Ses parents s’offrent des steaks marinés aux poivres. Et un apéro : pétillant pêche et Ricard. Ils se font plaisir.
« On a également deux grandes filles, qui ne sont pas avec nous en ce moment. Pour nous tous, au final, c’est à peine plus cher qu’un McDo ou une autremarque de restauration rapide. Mais on est assis et servis à table. C’est un bon rapport qualitéprix », explique le couple, qui ne sort pas très souvent au resto.
L’ambiance américaine ne leur déplaît pas. « C’est mieux que ça n’a été, souligne Amélie. Fini la moquette au sol et les franges sur les lampes. » Le resto de Saint- Malo, ouvert en 2016, est plutôt moderne. Sans toit rouge ni bison à l’entrée. Des photos de troupeaux dans les plaines, d’Amérindiens, de corrals et d’ambiance western sont toujours accrochées aux cloisons de bois et aux murs lambrissés.
Mais l’enseigne dit progressivement adieu à l’atmosphère indiens et cowboys qui a fait son image depuis ses débuts en 1980, dans l’Essonne. « Elle se positionne désormais comme un steakhouse. On garde le thème de l’Amérique, mais on le rajeunit », précise Vincent Desmet, district manager chez Buffalo Grill. Une façon de se relancer après le Covid-19 et de se dépoussiérer sans trop changer. Le groupe Buffalo Grill, à qui appartient aussi Courtepaille, a changé de nom en 2021 pour s’appeler Napaqaro.
Non loin, deux amies déjeunent ensemble après s’être retrouvées pour un rendez-vous dans un autre quartier de la ville. « On s’est dit qu’on allait se
faire un petit resto, rapide et avec un rapport qualité- prix correct. On n’avait pas envie d’un sandwich », expliquent Amandine et Élodie, 24 et 25 ans. L’une est serveuse, l’autre agente commerciale. « C’est chaleureux, on y trouve tout type de personnes. » Pas guindé, quoi. « Vous pouvez y aller comme vous êtes », ajoute Amandine, en riant de reprendre le célèbre slogan de McDonald’s.
Petite salade de bienvenue
La déco iconique de la marque leur plaît. « Onnevoitpas ça partout. C’est un peu western. Sinon, faut aller à Disney. Mais c’est pas le même budget », glisse Élodie, en souriant.
Les serveurs apportent une petite salade de bienvenue. Un bol de laitue, avec quelques grains de maïs, haricots rouges, morceaux de carottes. Un souvenir d’enfance pour ceux que leurs parents ont emmenés dans ces restos dans les années 1990 et 2000. Elle est toujours là. « C’est notre ADN, la salade d’accueil », ajoute Vincent Desmet.
Comme si, à défaut d’être dans un cadre historique exceptionnel, les enseignes comme Buffalo Grill, Courtepaille, la Pataterie ou Flunch s’étaient inventé des décors et des histoires. Pas de celles qui remontent à l’explorateur Jacques Cartier ou au corsaire Robert Surcouf, mais de celles, plus ordinaires, qui s’écrivent en famille, avec les doigts un peu gras des frites, le bidon bien rempli et les coups de pied sous la table.
Il est 13 h. La plupart des 176 places de la salle sont occupées. Au milieu des familles, des ouvriers du bâtiment y déjeunent également. Ainsi que des commerciaux. Emmanuel et Rozenn profitent, eux, d’un déjeuner « en amoureux ». Le couple, qui vit avec ses enfants près de Plancoët (Côtesd’Armor), avait à faire à Saint- Malo. « On adore manger ici », glisse cette femme de 31 ans, agente d’entretien. « On aime la simplicité », ajoute ce pâtissier de 32 ans. Eux non plus n’ont « pas l’habitude de faire d’autres restos ». Plus loin, une grande tablée : il y a Jacqueline, 86 ans et malouine, « la grand- mamie », Nicolas, 43 ans, Amélie, 37 ans, les parents, et leurs six enfants, âgés de 3 à 13 ans. La famille, qui vit à Lille, est en vacances dans une location intra- muros. Cela a été « tout un périple » pour venir tous ensemble, en bus, jusqu’à la zone commerciale.
Et une barbe à papa
Les enfants ne boudent pas leur plaisir. « Quand on leur dit qu’on va à Saint- Malo, ils nous demandent toujours si on ira auBuffaloGrill. Si ça se trouve, ils pensent que c’est un resto local, comme on n’y va qu’ici ! rigole Amélie. C’est devenu une tradition des vacances pour nous. Avec le rapport qualité- prix, on s’y retrouve. » D’autant que le resto accepte la carte famille nombreuse : un menu enfant est offert pour l’achat d’un repas adulte. « Chez nous, on cuisine, on sort ultra rarement », ajoute cette romancière. « À part à la cafétéria d’Ikea… », ajoute Nicolas, contrôleur des impôts, en riant.
Jacqueline prend le saumon grillé. Amélie est végétarienne. Partis jouer, les enfants reviennent à table. Nuggets et burgers arrivent. Avec des frites et des haricots verts. « On veut quand mêmequ’ilsmangent équilibré, souligne Nicolas. Bon appétit les enfants ! » Silence des premières bouchées. « C’est bon ? » demande Jacqueline. Des hochements de tête convaincus lui parviennent en réponse.
Ce qu’ils préfèrent ? « La barbe à papa ! » répondent- ils. C’est un dessert du menu kids. « Et les jeuxaussi », ajoute Fleur, 8 ans. Et il y aura la chanson d’anniversaire qui résonnera dans tout le restaurant pour Gaïa. Un tube pour les habitués : « Bon anniversaire les p’tits Indiens, bon anniversaire les p’tits cow-boys ! »