Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Mathilde et Guillaume, à la conquête de l’ Angleterre
Peu de femmes ont joué un rôle aussi important au Moyen Âge que Mathilde de Flandre, épouse bien-aimée de Guillaume le Conquérant et première reine d’Angleterre.
1047. Le duc de Normandie Guillaume le Bâtard remporte sur ses vassaux conjurés la bataille du Val-ès- Dunes. Cet événement capital marque le début de sa domination sur la Normandie. Il est âgé d’une vingtaine d’années et doit maintenant penser à assurer sa descendance. Pendant son adolescence, le jeune duc a beaucoup souffert de son statut de fils illégitime du duc de Normandie Robert. À plusieurs reprises, on lui fait sentir « qu’un bâtard n’est pas fait pour commander auxNormands ». Il veut donc épargner à ses enfants les humiliations qu’il a subies et se trouver une épouse digne de son rang. Il songe très vite à Mathilde, fille du comte Baudouin V de Flandre. La belle, qui descend de Charlemagne, est la petite- fille du défunt roi capétien Robert le Pieux. Pour qui souhaite conforter son statut de prince, on ne peut rêver meilleure union.
Outre un prestige personnel, Guillaume gagne dans l’affaire une précieuse alliance. Mais le pape Léon IX en personne, jaloux de ce pouvoir, est hostile à l’union et fait stipuler qu’il est interdit « au comte de Flandre Baudouin de donner sa fille comme épouse à Guillaume le Normand et à celui- ci de l’accepter ». Il met en avant la consanguinité qui existe entre les fiancés qui descendent en effet, l’un comme l’autre, de Rollon, premier duc de Normandie. Mais les motivations du Saint- Siège ne dissuadent pas les deux parties.
Une fiancée récalcitrante
Mathilde est une ravissante adolescente et sa petite taille (elle fait moins d’1,50) ne l’empêche pas d’avoir de la prestance. Nous savons très peu de chose sur son enfance sinon qu’il est probable qu’elle ait été élevée aux côtés de sa tante, Judith, la soeur de son père qui avait le même âge qu’elle.
Les chroniqueurs du XIIIe siècle décrivent une première rencontre plus que houleuse entre Guillaume et la fille du comte de Flandre. Avertie par son père de la demande du duc de Normandie, elle affirme haut et fort que jamais elle ne l’épousera : « J’aime mieux estre nonne voilée, que je sois au bastard donnée. » Terriblement vexé de cette réponse outrageante, Guillaume entre dans une colère noire et, enfourchant son cheval, pique des deux jusque chez son futur beau- père. Il pénètre dans la forteresse, trouve Mathilde sur le chemin de l’église, l’attrape par ses longues tresses et la jette à terre devant des spectateurs sidérés, avant de quitter les lieux. Naturellement, le père s’offusque mais, avant qu’ils n’en viennent aux mains, Mathilde, subjuguée par la fougue du futur conquérant, désamorce le conflit en refusant d’épouser quelqu’un d’autre, affirmant : « Je ne serai de ma vie unie à personne d’autre qu’à celui auquel je fus promise, car dansmon esprit personne ne peut rivaliser avec lui. »
Cette présumée violence conjugale a été pour la première fois rapportée au XIIe siècle par le fielleux Malmesbury. Il décrit l’infortunée Mathilde, supposément traînée dans toute la ville de Caen, attachée à la queue du cheval ducal, et s’exclamant devant l’indifférence des passants : « Froide, que cette rue est froide ! » donnant ainsi son nom à cette venelle de Caen. Il n’y a bien évidemment rien d’authentique dans ces récits apocryphes, qui font toutefois partie intégrante de la légende du couple.
Malgré les objections papales, l’union a donc lieu en 1053. En guise de pénitence pour leur désobéissance, chacun des mariés doit fonder une abbaye : l’abbaye aux Hommes, ou abbaye Saint- Étienne pour lui, l’abbaye aux Dames, ou abbaye de la Sainte-Trinité, pour elle.
Duchesse et reine
La duchesse est une femme immensément riche et l’une des plus importantes personnalités de son temps. Le couple, très amoureux, donne naissance à neuf enfants. Cette vie tranquille prend fin à l’automne 1066, lorsque Guillaume décide de faire valoir ses droits sur l’Angleterre. Son cousin éloigné, Édouard le Confesseur, décédé sans enfant, lui a promis le trône. Mais le beau- frère du roi, Harold, s’en empare. Le Normand, grâce aux avoirs de son épouse, rassemble une force d’invasion de 1 000 navires et 8 000 hommes. Fin septembre 1066, il débarque dans le Sussex et, le 14 octobre, remporte la victoire d’Hastings. Le jour de Noël 1066 à Westminster, Guillaume est couronné roi d’Angleterre. Pendant qu’il séjourne à York, à Gloucester ou à Londres, il a besoin d’une régence en Normandie. C’est vers Mathilde qu’il se tourne. La fille du comte de Flandre gère donc le domaine continental, rejoignant cependant ponctuellement son époux en Angleterre. Elle apparaît désormais dans les chartes avec le titre de « Regina », reine.
Tout au long de leur existence commune, Mathilde et Guillaume forment un couple uni. Les chroniqueurs affirment que « le duc aimait son épouse tendrement ». Il n’existe de trace que d’une seule dispute mémorable entre eux. Elle survient à propos de leur fils rebelle, le jeune Robert Courteheuse à qui la reine, malgré l’interdiction de son mari, continue d’apporter secrètement son soutien financier. La brouille sera pourtant de courte durée. On ne connaît à Guillaume aucune relation adultérine et aucune progéniture illégitime, chose rare à l’époque. Ce parcours sans nuage ne prend fin qu’avec la disparition de Mathilde, au début du mois de novembre 1083. La reine laisse derrière elle un veuf inconsolable : « Pleurant à profusion pendant de nombreux jours, il montra à quel point il ressentait vivement sa perte. » Mathilde est inhumée dans le choeur de l’abbaye aux Dames. Elle y repose toujours mille ans plus tard, sous une superbe dalle de marbre noir.