Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
À rebrousse- poil de ces corps sous contrôle
Forme. Depuis des décennies, le corps des femmes ne doit ni duveter ni piquer. Elles sont pourtant de plus en plus nombreuses à laisser tomber l’épilation, s’affranchissant du diktat du tout lisse.
« Ma mère me saoule avec mes poils », s’énerve Pauline, 22 ans. Voilà deux ans qu’elle a décidé de ne plus s’épiler les jambes et les aisselles. « Elle est prête à tout pourmefaire changer d’avis, à payer toutes les séances chez son esthéticienne, à m’acheter tous les produits de la terre… En fait, je crois qu’elle a honte de sa fille poilue ! »
Du côté de Stéphanie, sa mère, le terme de honte est rejeté et remplacé par « bienveillance ». À 53 ans, elle a toujours pris soin de ne laisser aucun poil dépasser de son corps : « Ma propre mère m’avait enseigné très tôt que c’était plus hygiénique et que les hommes n’aimaient pas trop une femme à la pilosité pas soignée. »
Les poils, un grand tabou
Pauline le sent, c’est la peur d’une mère face au célibat de sa fille qui parle : « J’ai beau la rassurer en lui répétant que ma vie sexuelle et amoureuse se porte bien, elle interprète ça comme un handicap. » Comment de simples poils génèrent- ils autant de confrontations générationnelles ? Juliette Lenrouilly n’est pas étonnée. Avec Léa Taieb, elle a cosigné un livre passionnant sur le sujet (1). « Le poil, comme les règles, est l’un des grands tabous. Pourtant, il raconte beaucoup sur le corps des femmes sous contrôle, sur le diktat du glabre, sur les stéréotypes de la beauté. » Une mère prescriptrice en termes de pilosité, c’est souvent une mère qui sait combien la société, et dès la cour d’école, peut être discriminante envers celles qui ne rentrent pas dans les canons archaïques.
« Une mère redoute que sa progéniture soit marginalisée. Conseiller l’épilation, c’est aussi un rituel de beauté qu’une mère peut transmettre à sa petite fille devenue femme. Cela peut également êtremotivé par la crainte de passer pour une mauvaise mère. » Stéphanie le reconnaît, parfois le regard des autres mères, notamment celui de ses copines, la gêne : « L’autre jour, une amie m’a demandé si ma fille avait un problème de peau pour expliquer ses poils sous les bras… »
Même si des influenceuses sur les réseaux sociaux ou quelques mannequins revendiquent publiquement leur attachement à un corps au naturel, dans toutes ses différences, « le poil est encore mal vu », renchérit Juliette Lenrouilly.
Et il l’est de plus en plus chez les hommes qui, eux aussi, succombent à la pression du tout lisse.
(1) Parlons poil !, Massot éditions, 232 pages, 19,90 €