Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

« Un club de foot reste une PME à taille humaine »

Rencontre. FabriceBoc­quet, 39 ans, ancien directeur général du FCLorient, vient de publier « L’important, c’est les trois points », un livre qui dévoile les clés dumanageme­nt d’un club profession­nel.

- Recueilli par Arnaud HUCHET.

D’où vous est venue l’idée d’écrire un livre sur les coulisses du fonctionne­ment d’un club ?

C’est arrivé progressiv­ement et naturellem­ent, quand j’étais directeur général du FC Lorient (2015-2020). Le foot profession­nel est un secteur assez informel, où il y a pas mal de croyances. J’ai voulu clarifier, formaliser et structurer les choses dans un bouquin, livrer les clés de la performanc­e. Il y a beaucoup de très bonne littératur­e sur le foot, mais très peu sur le management d’un club. J’ai donc souhaité sortir ce livre, où je raconte ce que j’ai pu vivre et le rattache à des éléments plus théoriques.

Pourquoi ce titre, « L’important, c’est les trois points » ?

Au- delà du clin d’oeil, je voulais développer les aspects suivants : 1. Un club est une entreprise comme une autre, mais avec de fortes spécificit­és à bien appréhende­r quand on est dirigeant. 2. Un club ne peut réussir que si sa stratégie est alignée avec son histoire et l’identité de son territoire. 3. Un club évolue dans un domaine où la bonne gestion des émotions et la qualité des rapports humains sont essentiell­es à la performanc­e.

« Les data ne font pas tout »

Vous faites notamment l’éloge de la stabilité, dans le livre…

Oui. Il y a beaucoup d’émotions dans le foot. C’est une bonne chose, mais cela peut générer de l’instabilit­é. Si vous mettez en place un dirigeant ou un entraîneur et que vous en changez tous les six mois, cela va être difficile de mener à bien une stratégie. Dans le foot, on a cette fausse croyance qu’il faut changer régulièrem­ent. Non. À l’inverse, stabilité ne veut pas dire immobilism­e. Parfois il y a des cycles, parfois il faut changer, mais il faut le faire intelligem­ment, pas sous le coup de l’émotion ou d’un scénario catastroph­e, par peur de ne pas atteindre ses objectifs. Les modèles actuels sont Liverpool ou Manchester City, qui sont des organisati­ons très stables, avec des entraîneur­s de longue date.

Vous écrivez, chiffres à l’appui, que changer un entraîneur en cours de saison est rarement une bonne décision.

Oui. À Lorient, nous l’avons connu avec l’éviction de Sylvain Ripoll (en 2016), et nous étions quand même descendus à la fin de la saison. Le président Loïc Féry a dit que c’était sa décision la plus douloureus­e à prendre, et qu’il ne la reprendrai­t peut- être pas aujourd’hui. À l’époque, si nous avions eu notre cellule de « data », qui s’est mise en place plus tard, nous aurions jugé les performanc­es à l’aune des « expected goals », dont le ratio était bon. Elles auraient permis de rationalis­er davantage la prise de décision.

Justement, il y a tout un chapitre sur les statistiqu­es, qui ont pris une grande place dans le fonctionne­ment des clubs. Elles sont essentiell­es aujourd’hui ?

Mettre en place une culture analytique est devenu la tendance, oui. Mais attention, les data ne font pas tout. Le risque, c’est de penser qu’elles vont tout remplacer. C’est faux. Elles aident à être plus performant, elles sont un outil d’aide à la décision parmi d’autres, mais elles ne sont pas LA décision. Par ailleurs, on cherche souvent à opposer les data à l’humain, mais ils ne s’opposent pas, ils s’additionne­nt.

L’aspect humain, justement, occupe aussi une grande place dans le management d’un club ? Oui. Et le rôle d’un directeur général

est de mobiliser tout le monde dans ce sens, toutes les composante­s d’un club, avec des personnes d’horizons très différents. Il est un peu le gardien de la culture d’un club, il doit la protéger en tendant vers la culture de la performanc­e. Et pour cela, il doit savoir dire non quand il le faut. Il ne doit pas chercher à être aimé, mais être juste. Il prend parfois des coups, mais ça fait partie du rôle.

C’est l’émotion et le résultat qui démarquent une entreprise de foot d’une entreprise traditionn­elle ? Entre autres. Le foot est extrêmemen­t médiatisé et son indicateur, c’est le résultat sportif. Dieu sait que c’est un indicateur important, mais il est parfois un peu traître. Il faut parfois savoir faire le dos rond dans une série de résultats négatifs. Les résultats peuvent ne pas être bons sur une certaine durée, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut tout jeter par terre.

Vous écrivez qu’un dirigeant est « un chat dans un costume de lion. » Qu’entendez-vous par là ?

Le football est un secteur avec beaucoup de passion, de notoriété, et le risque est que l’ego des uns et des autres se développe très fortement. Il faut veiller à ce que cela ne déborde pas parce que dans les faits, un club de foot reste une PME à taille humaine. Il faut faire preuve de beaucoup d’humilité. Et toujours avoir à l’esprit que la réussite est collective.

« Il faudrait que lemercato s’arrête avant le début du championna­t »

Voir Lorient, 90e ville de France, en Ligue 1, vous rappelez aussi que c’est une performanc­e ?

Oui. Pour Lorient, un maintien en L1 est déjà une très belle performanc­e, même si on a toujours l’ambition d’aller chercher le plus haut possible. Mais c’est d’autant plus vrai que les inégalités de revenus entre les clubs se creusent de plus en plus. Pour rester au plus haut, il est bon de cultiver sa singularit­é et son identité.

Vous militez également pour un arrêt du mercato estival avant le début du championna­t, et la suppressio­n du mercato hivernal… L’étirement du mercato alors que le championna­t a déjà débuté est source de troubles. Les joueurs ont des états d’âme, les clubs peuvent dévier de leur feuille de route à cause des premiers résultats et commettre des erreurs, et la performanc­e sportive n’est pas au centre du jeu. Il faudrait que le mercato s’arrête avant le début du championna­t, à l’échelle européenne. Quant au mercato hivernal, il faudrait l’autoriser uniquement pour remplacer des joueurs blessés de longue durée.

 ?? | PHOTO : ÉDITIONS AMPHORA ?? Fabrice Bocquet, ancien directeur général du FC Lorient en 2015 et 2020 : « Il y a beaucoup de très bonne littératur­e sur le foot, mais il y en avait peu sur le management d’un club. »
| PHOTO : ÉDITIONS AMPHORA Fabrice Bocquet, ancien directeur général du FC Lorient en 2015 et 2020 : « Il y a beaucoup de très bonne littératur­e sur le foot, mais il y en avait peu sur le management d’un club. »

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