Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Marilyn Monroe et le pouvoir d’achat

- par Philippe Lemoine

Alors que le pouvoir d’achat est devenu le sujet numéro un de notre dernière élection présidenti­elle, loin devant la crainte du réchauffem­ent climatique ou les questions migratoire­s, un tableau d’Andy Warhol a été vendu cette semaine, à New York, 195 millions de dollars (184 millions d’euros).

Shot Sage Blue Marilyn est ainsi devenu l’oeuvre du XXe siècle la plus chère jamais vendue aux enchères. Ce carré, d’environ un mètre de côté, est une version revisitée d’une photograph­ie de Marilyn Monroe, réalisée pour la promotion du film Niagara (1953). Cheveux jaunes, paupières bleues, visage rose et lèvres très rouges, la star hollywoodi­enne est ainsi devenue une icône incontourn­able de la pop culture. La vente de lundi le confirme. Mais à quel prix ?

Cette somme astronomiq­ue en dit long sur le marché de l’art aujourd’hui, sur l’économie mondiale et la faille abyssale qui sépare désormais les 1 % les plus riches de la planète du reste de la population.

À première vue, il n’y a pas grandchose en commun entre ce tableau et les scores de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon à la présidenti­elle… À la rigueur, la blondeur des cheveux pour la première et le rouge révolution­naire des lèvres pour le second…

En réalité, cette vente record participe d’un mouvement de fond qui fédère et entretient les populismes : la fracture entre les élites et le peuple. L’accroissem­ent des inégalités, une classe moyenne persuadée de son déclasseme­nt et un seuil de pauvreté trop souvent franchi sont les moteurs d’une colère sourde qui se nourrit aussi de tels symboles.

Entre le prix du litre de gazole à 2 € qui affole les fins de mois et un tableau à 200 millions, il y a un monde, une galaxie même. Le sentiment si souvent partagé de ne pas vivre sur la même planète.

On pourra toujours objecter que sans la richesse des grands de ce monde, l’art ne serait pas le même, que les mécènes ont toujours existé, que sans la fortune des Médicis, la Renaissanc­e aurait été moins créative.

Mais il faut faire aussi la différence entre le mécénat et la spéculatio­n. Les sommes folles levées par quelques milliardai­res pour faire monter les enchères d’artistes contempora­ins qu’ils souhaitent voir décoller contribuen­t aussi au divorce entre le microcosme des initiés et le plus grand nombre.

Il en va de même des NFT. Cette abréviatio­n de « non-fungible tokens » désigne notamment l’acquisitio­n d’un bien numérique, une oeuvre virtuelle qui n’existe que sur… la toile. Alors que la fracture numérique est une réalité sociale dans bien des territoire­s, certains dépensent des sommes folles pour acquérir un fichier digital.

Mais la ruée vers les NFT est surtout une ruée vers l’or. Selon une récente étude réalisée par un assureur spécialist­e de la protection des oeuvres d’art, 82 % des acheteurs d’oeuvres numériques déclarent que leur achat relève plus d’un placement que d’un intérêt pour l’art.

Difficile de s’y retrouver entre création et capitalisa­tion. Après tout, Andy Warhol était le premier à brouiller les pistes en déclarant : « Gagner de l’argent est un art et faire de bonnes affaires est le plus bel art qui soit. » Lundi, il a dû se marrer dans sa tombe.

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