Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
« Travailler moins ne fait pas de nous une mauvaise personne »
Céline Marty est professeure agrégée de philosophie et autrice de Travailler moins pour vivre mieux, guide pour une philosophie antiproductiviste (éditions Dunod, octobre 2021).
Elle coanime également la chaîne de vulgarisation philosophique Meta sur YouTube, avec Jim Gabaret.
Pourquoi le travail est-il à ce point au centre de nos vies ? Notre système de protection sociale est fondé sur un emploi rémunéré à temps plein pendant quarante ans. Et puisque l’on sait que l’on doit passer notre vie à travailler, on projette beaucoup. D’autant qu’on nous a fait mille promesses sur le travail : c’est lui qui est censé nous sociabiliser, incarner nos valeurs… D’où l’idée qu’il faudrait trouver une carrière qui nous passionne. Ces enjeux existentiels, moraux, sociaux, nous ont été transmis depuis le plus jeune âge.
Pourquoi est-ce de travailler moins ?
Parce que c’est une rupture morale avec les valeurs de notre temps. Et comme toute norme que l’on transgresse, le corps social nous le rappelle. Les proches, les collègues nous critiquent. Mais ne pas vouer sa vie au travail ne fait pas de nous une mauvaise personne ! Et par-delà l’aspect difficile
De quoi a-t-on peur en laissant les gens travailler moins ?
On a peur de ce que les gens feraient de leur temps libre. Au niveau collectif, on a peur d’une société où les gens auraient le temps de se poser des questions. Cela s’explique historiquement, puisque la mise au travail progressive de la population avait pour but d’éviter que les marginaux traînent dans la rue à rien faire. C’est aussi une façon d’éviter des attroupements autres que professionnels.
Que penser du revenu universel ? Il est intéressant a minima parce qu’il permet de faire des pauses et de se demander quelle activité professionnelle on a envie de faire, sans être sous la pression financière. On ne serait plus obligé de prendre n’importe quel emploi pour survivre. Mais le revenu universel ne transformerait pas directement le marché de l’emploi. En revanche, il réduirait la consommation liée au travail, les transports par exemple.
Vous dites qu’il y a une « urgence écologique à faire moins »… Souvent, lorsqu’on parle d’écologie, on met l’accent sur la consommation et non sur la production. Mais le travail pollue ! Sauf qu’on a du mal à estimer l’empreinte écologique de notre production. Lorsque vous faites le calcul de votre empreinte carbone, on ne vous demande pas pour qui et comment vous travaillez. Alors que l’empreinte écologique d’un fonctionnaire n’est pas la même que celle d’un travailleur de Total. Le travail, c’est un peu la boîte noire de l’écologie.