Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Révolutionnaire, la mode de l’entre-deux-guerres
Le Musée du textile et de la mode à Cholet expose, jusqu’au 25 septembre, 114 pièces d’une époque marquée par les emblématiques Années folles. Une page d’histoire à découvrir.
Dominique Zarini.
Commissaire de l’exposition « Les Folles années » au Musée du textile et de la mode à Cholet
Quelle était la mode des Années folles ?
Pour mieux comprendre, il faut remonter le fil à partir du début du XXe siècle. En 1900, la taille est très cintrée avec des corsets, les jupes très longues, les chapeaux énormes. La décennie suivante, le couturier Paul Poiret va avoir une influence essentielle. Inspiré par la danseuse américaine Isadora Duncan, qui danse pieds nus avec des voiles, il va se mettre à créer un tissu fluide. Les premières femmes arrivent à la tête de grandes maisons de couture.
Sont-elles nombreuses ?
Presque plus nombreuses que les hommes ! On a les soeurs Callot, Madeleine Vionnet… On a un peu tendance à l’oublier, mais Jeanne Paquin se retrouve à la tête de sa maison en 1913. Elle a des succursales partout dans le monde, c’est la papesse. Deux autres, Louise Chéruit et Jeanne Lanvin, vont monter des départements enfant. Une première.
Vient la Première Guerre mondiale. Comment a-t-elle influencé la mode de l’époque ? Elle a des conséquences importantes, notamment sur les familles. Beaucoup d’orphelins, énormément de veuves. Ça change un peu la figure des foyers où on a des femmes qui, pendant la guerre, ont été très autonomes, par force. Elles sont nombreuses à travailler en usine. Elles ne s’encombrent pas de trop de vêtements. Elles avaient une sorte de tailleur, une grande jupe et une veste longue. Au sortir de la guerre, les hommes reviennent traumatisés, blessés. Ils sont très peu nombreux et ne peuvent pas avoir la même pression qu’ils ont eue avant. L’étau se desserre, les moeurs se libèrent en France. C’est certainement ça aussi qui plaît beaucoup aux États-Unis, où la prohibition est en place, où il y a du racisme. D’ailleurs, Joséphine Baker ressent une libération quand elle arrive en France en 1925.
Joséphine Baker, qui fut chanteuse, actrice, meneuse de revue. Quelle effervescence traduit-elle ?
Au sortir de la guerre, ça va être la fête. Dans les collections de robes que nous présentons, on est dans le Paris des milieux chics et aisés. On profite de la vie. On danse sur la musique à la mode. On invente des danses seules, comme le charleston ou le fox-trot. La robe n’a jamais été aussi courte. En 1925, on est sous le genou, on voit les jambes et les chaussures, c’est nouveau. Et on s’est coupé les cheveux au carré, avec une frange, à la Louise Brooks au cinéma. On retrouve une silhouette tube, androgyne, qui n’a plus de forme. On efface les seins le plus possible.
Qui dit Années folles dit aussi Coco Chanel.
Comment se fait-elle connaître ? Coco Chanel va être la pionnière de la maille. Pendant la Grande guerre, elle transforme son vieux stock de jersey en blouses et tailleurs souples. Ça ne rencontrera pas le succès dans les années 1920. La décennie suivante, tout le monde sera habillé en jersey, de la tête aux pieds. La barboteuse, nouveau vêtement du bébé, est une création de l’époque, en maille. Début des années 20, ça ne sert qu’à aller à la plage. Au début des années 30, tous les bébés en portent. Cette matière rencontre le succès parce que c’est chaud, confortable et peu cher.
Les premières femmes s’introduisent sur le court sportif, dont la joueuse de tennis Suzanne Lenglen. A-t-elle une influence sur la société ? Dans les années 1930, le sport a une grosse influence sur la jeunesse. Suzanne Lenglen est au sommet de sa forme, elle remporte tous les matchs. D’ailleurs, elle buvait un petit coup de cognac avant parce qu’elle avait constaté que ça l’aidait à gagner ! Elle jouait avec une jupe plissée. À partir de ce moment-là, toutes les filles et les femmes vont en avoir une. Elle la porte avec un sweater, un grand gilet avec deux poches. Une mini-révolution, alors que les femmes
Et chez les hommes ?
C’est la mode du polo, avec René Lacoste, qui gagne tous ses tournois de tennis avec les trois mousquetaires. Ayant marre de jouer avec des chemises à manches longues boutonnées, il rajoute un col au polo. Quand il arrête de jouer en 1933, il s’associe à André Gillier, un industriel qui fait de la bonneterie à Troyes. La même année, ce dernier invente le slip kangourou et la chemise Lacoste.
Quel principal héritage a-t-on gardé de cette époque ?
La robe taille basse, mais aussi les chaussures à talons Salomé (des lanières et brides en T sur le dessus du pied) reviennent à la mode. Moi, ce que je préfère de cette époque, ce sont les motifs géométriques, qui ne sont pas revenus depuis un moment. La mode reste cyclique, mais on ne recycle pas tout d’un coup.
Quelle mode succède aux Années folles ?
À la fin des années 1930 et au début des années 1940, on accentue les épaules, on ceinture la taille. On n’est pas très loin de la mode suivante, le New Look, où il va suffire de gonfler les jupes. Mais il y a une rupture nette après la Seconde Guerre mondiale. C’est l’époque Dior, des robes à fleurs, du retour à la féminité, les cheveux vont repousser. Chaque génération apporte son propre souffle.
L’exposition que vous commentez présente cent quatorze pièces de vêtements. D’où viennent-ils ? De toute la France. Des dons de particuliers, aussi des vêtements neufs dont des invendus qu’on a rachetés au Bon coin, un magasin de SaintÉtienne qui a ouvert de 1900 à 1970.
Des visites guidées sont proposées au Musée du textile et de la mode de Cholet jusqu’au 25 septembre, fin de l’exposition. Samedi 4 et dimanche 5 juin, 11 h ; mardis 5, 12, 19 et 26 juillet, 14 h 30 ; samedi 3 septembre, 14 h 30 ; samedi 17 et dimanche 18 septembre (dans le cadre des Journées européennes du patrimoine).