Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Le service très civique des « P’tites demoiselles »
Emma et Rose terminent leurs huit mois de volontariat auprès de personnes âgées fragiles dans un Ehpad de Saint-Nazaire. Récit d’une expérience utile, intéressante, « touchante ».
Rose Courbot et Emma Delorme portent un sweat-shirt jaune pétant, siglé de leur fonction : « Service civique solidarité seniors ». Les personnes âgées les reconnaissent facilement dans les couloirs de la résidence Louise-Michel de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Ils les appellent les « P’tites demoiselles », les « Canaris » ou les « Jonquilles ». Ça engage la conversation en mode sourire et c’est précisément la mission des deux jeunes femmes : « Favoriser le lien social, réduire l’isolement », résume Rose. « Il faut stimuler les résidents, qu’ils sortent des chambres, rencontrent du monde », ajoute Emma.
Elles ne sont ni salariées, ni stagiaires. « On appelle ça du volontariat », disent-elles. Le service civique dure huit mois. Elles touchent 580 €/mois pour quatre jours de travail par semaine, 9 h 30-17 h avec une pause à midi. Emma, 18 ans, a candidaté après son bac pro « soins et services à la personne », passé à Saint-Nazaire. Rose, Dieppoise de 25 ans, avait juste l’âge limite pour intégrer le service civique après avoir décroché son master en psychologie. Elle cherchait une expérience au long cours, avant d’entrer sur le marché du travail. «Je m’entends très bien avec mes deux grands-mères. Je m’étais dit que ça allait matcher avec les personnes âgées, et c’est le cas. »
« Des gens comme nous, qui ont juste vieilli »
« Emma connaissait ce public puisqu’elle avait fait des stages, elle a tout de suite été à l’aise, raconte Nacira Djenid, animatrice de la résidence. Rose, au début, appréhendait. Maintenant, elle adore l’UP ! » Cet établissement mutualiste accueille, pour moitié, des résidents autonomes et, pour l’autre moitié, des patients dépendants, en Ehpad. Certains, parmi eux, vivent dans l’unité protégée (UP), un service où l’on entre en tapant un code pour éviter que les résidents sortent sans aide, au risque de se perdre. « C’est un public qui, a priori, fait un peu peur, explique Rose. Mais ce sont juste des personnes un peu déboussolées, touchantes, intéressantes. Elles sont comme nous en fait, elles ont juste vieilli. »
Emma est moins disserte mais ses gestes parlent pour elle. Faut la voir gérer un embouteillage de cannes et fauteuils devant l’ascenseur, à la sortie d’une pièce où un résident, ancien curé, donnait une messe. « Par ici Madame Dubois », « Je vais vous aider Monsieur Martin », « Comment
allez-vous, Madame Lambert ? » « Elle est où, ma copine ? »
Emma et Rose semblent maîtriser les noms (qu’on a changés) des 80 résidents. Elles en ont même fait un décor des portes des quatorze chambres de l’UP, avec des dessins d’objets évoquant leurs centres d’intérêt. Elles participent aussi à l’accompagnement des sorties (ce qui permet à Nacira d’amener plus de monde) ; organisent des jeux de société, des ateliers créatifs ; frappent aux portes pour dire bonjour, au cas où l’occupante de la chambre, souvent devant la télé, aurait envie de causer ; font se rencontrer des dames ayant une passion commune.
« Quand une dame sort de sa chambre en nous disant : « Elle est où, ma copine ? », là, on a gagné », nous dit leur mentor Nacira, ravie du renfort des deux femmes. L’animatrice est motivée, bien sûr, pour accueillir un binôme aussi « engagé » en juin, quand les « Jonquilles » seront partie vers d’autres aventures…
Mémoire de guerre
La jeune Emma Delorme, elle, retournera sur les bancs de l’école « pour passer un brevet professionnel dans l’animation, comme Nacira ». Rose espère trouver du travail en tant que psychologue. « Auprès des personnes âgées, ça serait chouette », lance-t-elle, tout habitée par les histoires de longues, riches et dures vies qu’elle recueille ici : « Un matin, je lisais le journal à une résidente de l’UP. Ça parlait de la guerre. Elle m’a raconté qu’enfant, du côté de Guérande, des avions de chasse passaient parfois au-dessus de la maison. Son père lui disait alors : qu’estce qu’ils vont encore se prendre à Saint-Nazaire ! » Éclair poignant d’une mémoire soudain ravivée.