Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
En Inde, le tissage traditionnel de la soie menacé
Dans la mythique Varanasi, ex-Bénarès, des milliers de mains continuent à tisser la soie comme au XIXe siècle. Un savoir-faire aujourd’hui menacé que des maîtres artisans tentent de sauver.
Lorsqu’on s’enfonce dans les ruelles sales et étroites du quartier d’Adampur, à Varanasi, en tendant l’oreille près de certaines fenêtres, on entend un cliquetis caractéristique. C’est le son des impressionnantes machines Jacquard, du nom du Français Joseph Marie Jacquard, qui les imagina au début du XIXe siècle. En 2022, elles résonnent toujours, sous les mains des tisseurs de cette ancienne cité, la plus mythique d’Inde, l’ex-Bénarès.
Dans la pénombre, un ouvrier fait courir ses mains le long d’un métier à tisser, à l’allure de voile de bateau. «Je travaille sur un sari en soie, cela va me prendre dix jours, explique Mohamed Safi, membre de cette guilde à majorité musulmane. J’ai appris le métier de mon père et je l’exerce depuis vingt-six ans. »
La Chine comme concurrente
« Cela fonctionne sans électricité, grâce à un système de cartes perforées qui guident les chaînes de fils et permettent de tisser des motifs complexes », décrit Maqbool Hasan, maître tisseur de 77 ans, qui nous invite dans son magasin.
L’homme déploie l’une de ses pièces iconiques. « Le motif de ce châle a vu le jour sur les métiers à tisser écossais de Paisley, au XVIe siècle, avant que le Cachemire ne le réinvente à l’aiguille. J’ai converti nos métiers à tisser pour les reproduire », raconte-t-il.
Maqbool Hasan est un des plus célèbres tisseurs du sous-continent. Comme lui, une cinquantaine de grandes familles font vivre des milliers d’artisans à Varanasi. Une industrie vieille comme le monde. « On dit que lorsque Bouddha était fatigué, il portait de la soie de Varanasi. »
Ces artisans millénaires sont aujourd’hui inquiets. « Depuis le Covid, le nombre de commandes a drastiquement chuté. Les jeunes partent vers d’autres emplois » regrette l’un d’eux en contemplant un métier abandonné.
Le vent avait commencé à tourner avant la pandémie, estime Maqbool Hasan. « La Chine, premier producteur de soie, inonde l’Inde de saris industriels. Nous souffrons du climat anti-musulman en Inde et des appels aux boycotts. »
Des cartes perforées
Les trésors de Varanasi continuent heureusement à trouver des clients aisés. Ils attirent aussi des chercheurs. « Quelle a été ma surprise de tomber à Varanasi sur des métiers Jacquard qui ontquasiment disparu en France », raconte Isabelle Moulin. Cette muséographe ajoute: « Avec leurs cartes sur un modèle binaire, ces métiers à tisser sont l’ancêtre de l’informatique. »
Elle entend fédérer un réseau mondial des villes de la soie pour lequel elle a rencontré la reine de Mysore, autre haut lieu du tissage en Inde. «Il est très important de préserver ces savoir-faire locaux et écologiques. »
De son côté, Maqbool Hasan a lancé des écoles pour éduquer les enfants des tisseurs de Varanasi, issus de communautés très pauvres. « Les commandes ne reviennent que trop lentement, regrette-t-il. Il faut que le gouvernement indien nous aide à faire survivre ces artisans. »