Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Italie : la laborieuse conversion des biens mafieux

En Italie, 40 000 biens immobilier­s ont été confisqués à la mafia. Le but : les remettre au service de la société. Un symbole fort qui se heurte à la bureaucrat­ie italienne.

- À Palerme, Caroline BORDECQ.

Au coeur du quartier Cruillas, au bord de l’autoroute qui mène à l’aéroport de Palerme, capitale de l’île italienne de Sicile, Terra Franca est un havre de paix. Sur quelque 5 000 m2 de terrain, l’associatio­n Human Rights Youth Organizati­on a installé, pour les habitants de ce quartier populaire, des jardins potagers, une serre et même une ruche. L’objectif est d’allier lutte contre la mafia et projet environnem­ental, afin d’impliquer les jeunes et la population locale dans un avenir citoyen commun.

Seuls des vestiges de fondations en béton raccrochen­t ce coin de paradis à son passé. Avant sa confiscati­on, ce terrain, devenu la propriété de la commune de Palerme, appartenai­t à un « boss » de la mafia sicilienne. « Il voulait faire une résidence avec huit maisons, mais il a été arrêté avant », raconte Marco Farina, 36 ans, éducateur et président de l’associatio­n.

En Italie, quand un bien est confisqué à un mafieux, il doit ensuite être réutilisé dans un but public et social. Pour cela, il est donné soit à l’État, soit à une collectivi­té locale qui peut le conserver ou le prêter à une associatio­n. Le patrimoine est mis au service de la société mais en plus, « c’est un affront formidable. Vous imaginez le mafieux qui voit sa villa utilisée comme caserne pour les carabinier­s ? » souligne le préfet Bruno Corda, directeur de l’agence nationale qui assigne les biens confisqués.

« On se sent abandonnés »

Si ce type de projet fait figure de symbole, trente ans après les assassinat­s des juges Giovanni Falcone et Paolo Borselino, son aboutissem­ent relève toujours du parcours du combattant.

Au total, seule la moitié des 40 000 biens immobilier­s (maisons, terrains, magasins…) confisqués dans le pays a été attribuée par l’agence nationale. « Le processus peut prendre dix ans », assure Carmelo Pollichino, président de l’associatio­n antimafia Libera Palermo.

En attendant, les biens se dégradent, voire, parfois, sont détruits par les mafieux eux-mêmes. Dans le cas de Terra Franca, pour éviter que son terrain soit réutilisé, le « boss » avait autorisé les gens du quartier à s’en servir comme décharge. « On a vidé quinze camions de déchets quand on est arrivés », se souvient Marco Farina.

Son associatio­n a attendu quatre ans avant d’obtenir le prêt du terrain, en 2019. À Palerme, la ville, à elle seule, est propriétai­re de 1 600 biens immobilier­s confisqués, soit 10 % du total confié aux entités locales. Et leur gestion relève… d’un bureau de trois personnes.

Pour Marco Farina, il y a surtout un manque de volonté politique. Depuis trois ans, il attend l’accord de la ville pour brancher l’eau et l’électricit­é. « On se sent abandonnés », confie-t-il, avant de conclure, dans un demi-sourire : « Disons qu’aujourd’hui, j’ai moins peur des représaill­es mafieuses que de la bureaucrat­ie italienne. »

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| PHOTO : CAROLINE BORDECQ Marco Farina, président de l’associatio­n qui gère Terra Franca, en banlieue de Palerme, devant les vestiges du projet immobilier mafieux interrompu par sa confiscati­on.
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