Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Italie : la laborieuse conversion des biens mafieux
En Italie, 40 000 biens immobiliers ont été confisqués à la mafia. Le but : les remettre au service de la société. Un symbole fort qui se heurte à la bureaucratie italienne.
Au coeur du quartier Cruillas, au bord de l’autoroute qui mène à l’aéroport de Palerme, capitale de l’île italienne de Sicile, Terra Franca est un havre de paix. Sur quelque 5 000 m2 de terrain, l’association Human Rights Youth Organization a installé, pour les habitants de ce quartier populaire, des jardins potagers, une serre et même une ruche. L’objectif est d’allier lutte contre la mafia et projet environnemental, afin d’impliquer les jeunes et la population locale dans un avenir citoyen commun.
Seuls des vestiges de fondations en béton raccrochent ce coin de paradis à son passé. Avant sa confiscation, ce terrain, devenu la propriété de la commune de Palerme, appartenait à un « boss » de la mafia sicilienne. « Il voulait faire une résidence avec huit maisons, mais il a été arrêté avant », raconte Marco Farina, 36 ans, éducateur et président de l’association.
En Italie, quand un bien est confisqué à un mafieux, il doit ensuite être réutilisé dans un but public et social. Pour cela, il est donné soit à l’État, soit à une collectivité locale qui peut le conserver ou le prêter à une association. Le patrimoine est mis au service de la société mais en plus, « c’est un affront formidable. Vous imaginez le mafieux qui voit sa villa utilisée comme caserne pour les carabiniers ? » souligne le préfet Bruno Corda, directeur de l’agence nationale qui assigne les biens confisqués.
« On se sent abandonnés »
Si ce type de projet fait figure de symbole, trente ans après les assassinats des juges Giovanni Falcone et Paolo Borselino, son aboutissement relève toujours du parcours du combattant.
Au total, seule la moitié des 40 000 biens immobiliers (maisons, terrains, magasins…) confisqués dans le pays a été attribuée par l’agence nationale. « Le processus peut prendre dix ans », assure Carmelo Pollichino, président de l’association antimafia Libera Palermo.
En attendant, les biens se dégradent, voire, parfois, sont détruits par les mafieux eux-mêmes. Dans le cas de Terra Franca, pour éviter que son terrain soit réutilisé, le « boss » avait autorisé les gens du quartier à s’en servir comme décharge. « On a vidé quinze camions de déchets quand on est arrivés », se souvient Marco Farina.
Son association a attendu quatre ans avant d’obtenir le prêt du terrain, en 2019. À Palerme, la ville, à elle seule, est propriétaire de 1 600 biens immobiliers confisqués, soit 10 % du total confié aux entités locales. Et leur gestion relève… d’un bureau de trois personnes.
Pour Marco Farina, il y a surtout un manque de volonté politique. Depuis trois ans, il attend l’accord de la ville pour brancher l’eau et l’électricité. « On se sent abandonnés », confie-t-il, avant de conclure, dans un demi-sourire : « Disons qu’aujourd’hui, j’ai moins peur des représailles mafieuses que de la bureaucratie italienne. »