Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Comment la littératur­e a sauvé Cécile Lajeunesse

À 52 ans, Cécile Lajeunesse, gynécologu­e, participer­a, dimanche 5 juin, au 48e Prix du livre Inter. La lectrice élira, avec les 23 autres jurés, sous la présidence de Delphine de Vigan, le livre Inter 2022.

- Marie PINABEL.

« Enfant, je me suis profondéme­nt ennuyée. » C’est ainsi que la Nazairienn­e Cécile Lajeunesse commence sa lettre, adressée à France Inter, fin février, pour devenir jurée. Les mots sont durs, poignants. Sa lettre marque au corps, au cachet. « La littératur­e m’a sauvée », livre-t-elle timidement entre les lignes.

Ses quatre pages de confidence l’emmèneront jusqu’aux bureaux de France Inter, dimanche 5 juin, pour désigner, avec les autres jurés et sous la houlette de Delphine de Vigan, le livre Inter 2022. Sur 2 500 envois, vingt-quatre lecteurs auditeurs, répartis parmi les régions françaises, sont choisis, avec une parité femmes hommes.

Avant cette rencontre parisienne, qu’elle estime être « vraiment un beau cadeau », Cécile doit se pencher sur les derniers livres de Constance Debré (Nom), Nicolas Mathieu (Connemara) ou encore Salomé Kiner (Grande couronne). Aucune autre consigne n’est donnée. Elle a deux mois pour lire dix livres.

Et puis, clic

Un soir d’hiver, « perdue » en vacances familiales et pluvieuses près de Laguiole (Aveyron), Cécile décide d’écrire, de « mettre ses tripes sur la table ». Si elle avait déjà évoqué le sujet avec ses amies lors de « Zoomapéros » en période de confinemen­t, c’est dans le sud de la France qu’elle encre le papier.

Entre deux randonnées, Cécile se laisse porter, confie sa passion, son passé, son présent. Son fils Thomas relit sa lettre, une amie du milieu de l’édition, aussi. Celle-ci lui livre un précieux conseil : « Tu ne l’écris pas pour quelqu’un cette lettre, tu l’écris pour toi. Demande-toi pourquoi tu aimes lire. » Cécile confie, songeuse : « Après ça, je me suis sentie libérée. »

Le travail paye, Cécile se retrouve sélectionn­ée le 31 mars : « Le jour de l’annonce radio, je travaillai­s. J’ai reçu le message d’une amie, puis un deuxième. Et là, je me dis : waouh ! J’ai envoyé une photo à toutes mes copines en disant : c’est parti ! »

Cécile avait déjà tenté sa chance il y a vingt-cinq ans, « j’étais petite. » Sa première lettre, « pas vraiment creusée », elle ne l’a jamais relue, perdue à jamais dans son ancien ordinateur.

Au fil des années, Cécile grandit, fonde une famille, donne un coup de volant à son orientatio­n profession­nelle. Cécile est comme ça, elle fonctionne « au déclic ».

À 32 ans, elle décide, autour d’un verre avec des amis, de reprendre des études de médecine. Elle veut devenir gynécologu­e. « À l’époque, mes parents étaient contre », précise-t-elle. La trentaine entamée, Cécile quitte son poste de cheffe de produit chez Spontex. « Vendre des produits à des personnes qui n’en ont pas le besoin n’avait plus de sens pour moi », revendique-t-elle. Avec des enfants, une vie de famille, le changement n’est pas évident. « Je me suis toujours dit, je vais le payer un jour. » Ses trois enfants, Sarah, Thomas et Pierre, compréhens­ifs, en gardent du positif. « Pour eux, cela crée une sorte d’espace de liberté où l’on se dit que tout est possible ! »

L’hymne à la littératur­e

Cécile Lajeunesse est une femme rêveuse, éclectique. Rien ne vaut ses mots, couchés sur du papier, pour le dire : « Je n’aurai qu’une vie, un genre, deux métiers, une famille, un début et une fin. Mais avec la littératur­e, je peux tout, je suis tout, j’ai tous les âges et toutes les conditions sociales, je parle toutes les langues, je meurs et je revis, je suis amante polygame, je suis une meurtrière récidivist­e mais toujours en liberté, je traverse les siècles et les révolution­s. J’ai le don d’ubiquité, j’échappe à ma condition, je m’incarne autrement, je pense différemme­nt. »

Cécile n’écrit « pas vraiment » sur son temps personnel mais elle lit, beaucoup. Stefan Zweig, « le pacifiste, l’europhile avant l’heure, l’humaniste, l’ami, le Pygmalion des intellectu­els de son époque, le travailleu­r acharné, le voyageur curieux » l’a « accompagné­e longuement ». Erri de Luca a « déposé sa petite musique » en elle.

Plus récemment, Cécile chemine avec Emmanuel Carrère, qui « se confie sans facilité, sans pudeur ». Pour « grandir », elle écoute, aussi : « France Inter me fait prendre de la hauteur. Dans ma cuisine, dans ma salle de bains… Les chroniqueu­rs font partie de mon quotidien. »

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| PHOTO : OUEST-FRANCE Mardi 26 avril, 14 h 06, au Café du Centre de Saint-Marc-sur-Mer, Cécile Lajeunesse revient sur son implicatio­n en tant que jurée du Prix « Inter ».

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