Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Charlotte, l’amour du Prince « machiavéli­que »

Un château, une histoire d’amour. Rien ne destinait la belle et sage Charlotte d’Albret, soeur du roi de Navarre, à épouser César Borgia, l’un des plus sanguinair­es guerriers de la Renaissanc­e.

- Françoise SURCOUF.

En cet automne 1598, le tout nouveau roi, Louis XII est inquiet. Marié, quasiment de force par son cousin Louis XI à Jeanne de France, malheureus­e jeune femme bossue et rachitique, il n’en avait pas eu d’enfant, ce qui faisait l’affaire du souverain bien décidé à éteindre la famille des Orléans. Mais voilà, même « l’universell­e aragne » ne pouvait prévoir que son fils Charles VIII mourrait trop tôt et que Louis monterait sur le trône. C’est à présent chose faite. Le nouveau monarque, soucieux d’établir sa lignée, veut faire annuler ce mariage indésirabl­e. Et pour cela, il faut s’adresser directemen­t au Pape…

Curieux personnage que le pontife Alexandre VI. Né en Espagne, Rodrigo Borja (il a italianisé son nom en arrivant à Rome) est cardinal à vingtcinq ans et ne montre guère de goût pour le sacerdoce. Il entretient, au vu et sus de tous, une liaison avec la belle Vanozza Cattanéi qui lui donne quatre enfants : Juan, César, Lucrèce et Joffre. En échange du « divorce » royal, il réclame : « Le duché de Valentinoi­s et la main d’une princesse française pour son bien-aimé fils César. »

Le « Prince » de Machiavel

César est né en 1476. Évêque de Pampelune à seize ans, archevêque de Valence à dix-neuf, il devient cardinal un an plus tard. Mais la carrière ecclésiast­ique ne lui plaît guère. Il préférerai­t le métier des armes, réservé à Juan, aîné de la famille et fils préféré du Pape. En juin 1497, on retrouve le cadavre dudit Juan dans le Tibre, les mains liées et le corps lardé d’une dizaine de coups de poignards. Une enquête est diligentée qui mène à César. Rien ne sera jamais prouvé, Alexandre fait étouffer l’affaire.

Le deuxième fils est désormais le premier. Son père s’appuie sur lui pour consolider sa politique et étendre la puissance de l’Église. César abandonne la prêtrise et succède à Juan, en tant que capitaine général de l’Église en 1497. Bras armé du Pape, il contribue ainsi à renforcer la politique militaire et diplomatiq­ue d’Alexandre, qui souhaite établir la Maison Borgia comme l’une des familles les plus puissantes parmi les nations italiennes.

Sa carrière politique et militaire fulgurante sert de modèle à Nicolas Machiavel pour peindre Le Prince, dirigeant presque-idéal. L’ouvrage le mentionne et le cite en exemple à plusieurs reprises. Son intelligen­ce et son ambition – sa devise Aut Caesar, aut nihil (« Soit César, soit rien ») – font de lui l’une des personnali­tés les plus connues et les plus redoutées de la Renaissanc­e.

C’est à cet étrange et dangereux personnage que, le 12 mai 1499, à Blois, Louis XII marie, selon les termes de l’accord, Charlotte d’Albret, la seule princesse qui ait accepté ce redoutable parti. Belle, fine, sensible et cultivée, la soeur de Jean III, roi de Navarre, a 19 ans. Richement doté, le couple réside à Issoudun, dont le domaine est offert en dot à la jeune mariée. L’entente paraît régner entre les époux. La douce Charlotte d’Albret aima-t-elle ce foudre de guerre ? Ses lettres témoignent, en tout cas, d’un enthousias­me non feint pour la vie conjugale et les hommages qu’elle reçoit de son mari.

Mais le temps de la passion pour ces deux-là ne dure guère. Six mois plus tard, à la demande impérative du roi de France, César reprend le chemin de l’Italie. Il ne reverra jamais Charlotte. La jeune femme est enceinte. Elle donne, en 1500, naissance à une fille, Louise. Pieuse, elle est très liée à Jeanne de France, la première épouse de Louis XII et elle achète le château de La MotteFeuil­ly, dans le voisinage de proches cousins. Elle y vit retirée dans l’attente de pouvoir rejoindre son mari. Tout dans sa somptueuse demeure le lui rappelle, jusqu’aux trésors ramenés d’Italie et dont il lui a fait cadeau : tapisserie­s, meubles, bijoux, vaisselle d’or et d’argent.

Le départ du Condottier­e

Pendant ce temps, César mène les troupes du pape à travers les provinces. C’est l’époque des condottier­es, ces seigneurs qui se vendent au plus offrant et se taillent des principaut­és à grand renfort de violence et de carnages. César Borgia mérite-t-il vraiment sa réputation d’assassin, d’homme violent et sans scrupule ? Ou lutte-t-il simplement pour conserver la vie, entouré de nombreux ennemis ?

En quelques années, Borgia est à la tête d’un véritable empire, mais la chance tourne, son père disparaît en 1503. Il perd ainsi son seul soutien. Le nouveau pape Jules II, qui hait sa famille, le fait incarcérer et s’empare de ses biens. À peine sorti de prison, César est de nouveau arrêté par les sbires du roi d’Espagne, un autre de ses adversaire­s. Il réussit à fuir et se réfugie auprès du roi de Navarre, le frère de son épouse. C’est au service de ce dernier qu’il périt au siège de Viana, le 12 mars 1507. Charlotte, prévenue des semaines plus tard, s’effondre. Elle vivra dès lors dans son souvenir, le suivant dans la tombe en 1514.

Louise Borgia, sa fille, élevée à la cour, fera édifier pour elle dans la chapelle Saint-Hilaire de La Motte-Feuilly un magnifique tombeau, chefd’oeuvre de la Renaissanc­e, hélas mutilé à la Révolution. Épouse de Philippe de Bourbon-Busset, elle en aura six enfants. Aujourd’hui encore, le sang des Borgia coule dans les veines de ses descendant­s dont on trouve des représenta­nts jusqu’aux ÉtatsUnis !

 ?? | PHOTO : BERRYPROVI­NCE.COM ?? Le château de La Motte-Feuilly, dans le départemen­t de l’Indre, jadis demeure de Charlotte d’Albret.
| PHOTO : BERRYPROVI­NCE.COM Le château de La Motte-Feuilly, dans le départemen­t de l’Indre, jadis demeure de Charlotte d’Albret.
 ?? | PHOTO : DR ?? Charlotte d'Albret.
| PHOTO : DR Charlotte d'Albret.
 ?? | PHOTO : DR ?? César Borgia.
| PHOTO : DR César Borgia.

Newspapers in French

Newspapers from France