Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Dans la fournaise de la Porte d’Auteuil

Roland-Garros. De l’aveu des acteurs, l’ambiance est plus électrique cette année dans le décor chic du Grand Chelem parisien. Après deux éditions feutrées, ce stade revit et vibre comme rarement.

- Gaëtan BRIARD.

On l’a de nouveau laissé entrer, alors il s’est retroussé les manches, a déboutonné un peu la chemise pour bousculer les codes, dans une maison luxueuse où l’on a plutôt l’habitude de bien se tenir. Roland-Garros a toujours connu des atmosphère­s particuliè­res qui ont largement contribué à forger son histoire.

Oui mais voilà : après deux années au ralenti, son public a poussé ses portes avec le coeur léger et un enthousias­me débordant, porté par un manque et une envie de revivre des moments uniques. « J’en ai joué des Roland-Garros, mais je n’avais encore jamais connu une ambiance pareille. J’avais des frissons, l’impression d’être dans une arène» , s’étonne Alizé Cornet, 18e présence Porte d’Auteuil.

« J’ai trouvé depuis quelque temps une ambiance un peu différente en France, un public plus chaud qu’avant, enchaîne Gilles Simon. À ceux que ça dérange, j’ai envie de dire : « Vous ne vous rendez pas compte comme on se fait gueuler dessus partout depuis 15 ans ! » Là, c’est juste normal. On sent un public plus prêt à y aller. C’est hyper agréable. Et évidemment, ça fait tourner des matches. »

« On est plein. Dans les allées, l’attente est partout. On retrouve le charme de Roland-Garros. »

Depuis le début de la semaine, ils sont 45 000 chaque jour – en plus des 25 000 personnes « badgées » – dans ce stade en ébullition, prêts à hausser le ton sans que personne n’ait dans l’idée de baisser le feu. Cette joyeuse fête déborde donc de partout.

C’est ce que disent les files d’attente souvent interminab­les autour des très prisés courts numéro 7 et 14. « On est plein, admet aisément Gilles Moretton, président de la Fédération. Il y a de l’attente partout. Se balader dans les allées, c’est le charme de Roland-Garros et on le retrouve. »

Il y a davantage d’électricit­é dans l’air, pour parler de cette atmosphère plus bestiale et des spots accrochés aux toits des courts, permettant désormais de jouer une fois le soleil couché. C’est dans cette pénombre que Geoffrey Blancaneau­x a vécu une expérience unique au premier tour.

Mené tout le match, jamais à portée du succès, la coqueluche des qualificat­ions a été fêté en héros à chaque point marqué face à Fucsovics. C’était jour de grande kermesse pour le Français. « Le public était vraiment bouillant, racontait le Parisien de naissance. Dans ma tête, il ne fallait pas que ça s’arrête maintenant. Ce soir (lundi), je vais dormir avec des regrets mais demain, on repart au charbon pour revivre ces émotions l’année prochaine ! »

La « night session » apporte de nouveaux revenus à une Fédération qui espère atteindre les 300 millions d’euros de chiffre d’affaires pour la première fois cette année grâce à son principal poumon (260 millions en 2019).

Elle fait aussi évoluer Roland-Garros vers une identité nouvelle. « C’est un public différent et nouveau le soir, développe Gilles Moretton. Les spectateur­s en journée ont 8 h 20 de présence sur le stade, ceux du soir viennent pour un match. Cette dimension spectacle est très sympa, se rapproche de Bercy, où beaucoup de non-licenciés se rendent chaque année. On est dans l’entertainm­ent, c’est aussi la mission de la Fédération. Le tournoi n’est pas terminé, mais Roland-Garros va bien. L’objectif, quand j’ai été élu, était de changer l’image du tennis. Je pense qu’on est en train de le faire. Amélie (Mauresmo, nouvelle directrice du tournoi) a aussi cette mentalité, avec l’envie de casser un peu les codes traditionn­els. »

D’Ostapenko qui se bouche les oreilles à un Carreno Busta groggy, en passant par un De Minaur bouillonna­nt et une Krejcikova décontenan­cée, ce public a aussi chahuté les adversaire­s des Français comme rarement. « J’ai joué sur un court gigantesqu­e et plein à craquer, c’était comme un match de Coupe Davis. Et ça, ça me motive. Mais parfois, c’est un peu trop, racontait Alex De Minaur, battu par Hugo Gaston au super tie-break dans un Lenglen en fusion. Quand la foule me dit des choses droit dans les yeux après que j’ai fait une double faute… Il y a une ligne qu’il ne faut pas franchir. Tant mieux pour lui d’avoir vécu un moment qu’il ne va jamais oublier. »

« Chanter la Marseillai­se deux fois sur le Chatrier, on n’avait pas vu cela auparavant. »

Au moment où certains veulent modifier les règles et raccourcir les formats, le temps long a fait son effet comme rarement cette semaine. Sur les quatre premiers jours du tournoi, dix-sept matches sont allés au cinquième set, six joueurs ont connu un « renverseme­nt » heureux, menés deux sets à rien puis adulés. Tsitsipas, Zverev et Schwartzma­n étaient de ceux-là.

Messieurs les réformateu­rs, circulez, la balle jaune va très bien. «Le tennis, c’est ce charme-là, reprend Gilles Moretton. La plus grande réussite, c’est l’émotion. Les records sont partout. Il n’y a qu’à regarder les allées et les audiences télé. Alors quand on veut modifier ses règles, je réponds : « Faites un autre sport ». Chanter la Marseillai­se deux fois sur le Chatrier, une fois sur le SimonneMat­hieu, on n’avait pas vu cela auparavant. On s’enflamme parce que le spectacle est là, tout simplement. »

Plus de 600 000 personnes auront mis les pieds à Roland-Garros à la fin de la quinzaine, soit bien plus que tout ce qui avait été réalisé jusque-là (519 000 en 2019), du fait de la double billetteri­e jour – soirée. « On les voit heureux, ressent Diane Parry, 19 ans et déjà un Roland-Garros gravé à vie. C’est la première année où je ressens qu’ils sont à fond et impliqués dans chaque match, sur tous les courts, y compris les annexes. Ça fait plaisir de voir ça. »

Sur le Simonne-Mathieu, un îlot isolé mais plein de vie, Gilles Simon a peut-être vécu sa plus grande émotion mardi, un soir de victoire devant quelques centaines de « génies » face à Carreno Busta. « L’atmosphère du premier tour était juste irréelle, appuie le Niçois. On a réussi à garder ce truc-là ensemble tout le match. Il suffisait d’une étincelle et cela repartait, c’était fantastiqu­e. »

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| PHOTO : AFP Le public a porté les joueurs français comme rarement lors de cette première semaine à Roland-Garros.
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| PHOTO : AFP De jeunes supporters d’Hugo Gaston lors de ce Roland-Garros 2022.

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