Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Les jeunes sont-ils si dépolitisé­s ?

Des idées d’ici. Chaque dimanche, un grand entretien pour laisser place aux idées d’ici. Aujourd’hui, Émilie Bourdon, conseillèr­e municipale (Divers gauche) de Nantes, réfute le désengagem­ent politique des jeunes.

- Émilie Bourdon, conseillèr­e municipale (Divers gauche) de Nantes. Recueilli par Antonin GALLEAU.

Une étude du think-tank libéral Institut Montaigne de 2022 met en évidence la désaffilia­tion politique des jeunes. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Il ne faut pas généralise­r. D’autres études montrent que l’engagement politique a pris de nouvelles formes. Leur besoin d’engagement n’a jamais été aussi fort. En témoigne l’investisse­ment des jeunes dans le milieu associatif et le développem­ent de nombreux collectifs, notamment sur les thématique­s du changement climatique ou de la lutte pour l’égalité. Certes, aujourd’hui, le nombre de jeunes encartés dans les formations politiques est moins élevé. Mais les jeunes ne se désintéres­sent pas de ce qui se passe au sein des partis. En parallèle, les partis politiques doivent poursuivre leur travail sur leur programme, afin de répondre aux attentes de la jeunesse. Et ils ont à démontrer, par des exemples concrets, de la place qu’ils donnent aux jeunes.

Parmi le personnel politique, le Premier ministre Gabriel Attal est âgé de 35 ans. Aux Européenne­s, on trouve de jeunes têtes de liste comme Manon Aubry (LFI) ou Jordan Bardella (RN). Est-ce un subterfuge des partis ?

Un subterfuge, non. Mais il faut faire attention au raccourci qui consiste à utiliser des figures politiques jeunes pour rameuter les jeunes vers les urnes. Il peut s’agir de « cautions jeunes » qui ne se traduisent pas par une meilleure prise en compte des besoins de la jeunesse. Ce n’est pas parce qu’un acteur politique est jeune, qu’il détient l’alpha et l’oméga de la politique en faveur de la jeunesse.

En dehors des partis traditionn­els, de jeunes activistes privilégie­nt des opérations à forte résonance médiatique. Est-ce le signe d’une désaffecti­on de la démocratie représenta­tive ?

L’activisme a toujours existé. Souvent porté par de jeunes contestata­ires. Des actions non-violentes sont à la dispositio­n des organisati­ons pour porter leurs revendicat­ions. D’autres, plus radicales, me semblent condamnabl­es. Quant à la démocratie représenta­tive, les chiffres montrent que le taux d’abstention des jeunes croît lors des élections. J’ai peut-être une explicatio­n à cela, tirée de mon expérience d’élue. Sur le terrain, je rencontre beaucoup de citoyens pour lesquels le rôle de l’élu est flou. Ils ne savent

pas qu’ils peuvent les solliciter, connaissen­t mal les limites de leur exercice. Je constate une méconnaiss­ance du fonctionne­ment démocratiq­ue, notamment des collectivi­tés. Cela appelle un travail pédagogiqu­e et de démystific­ation.

Avec l’Associatio­n des jeunes élus de France (Ajef), comment allezvous participer à cet effort pédagogiqu­e ?

Notre section locale de l’Ajef vise d’abord à proposer un accompagne­ment aux élus âgés de 18 à 35 ans. Nous programmer­ons également des temps privilégié­s avec des jeunes citoyens de notre territoire pour leur expliquer en quoi nous sommes leur porte-voix, leur relais. Nous sommes élus sur un programme et nous sommes tenus d’assurer nos engagement­s auprès de nos administré­s. Mais nous sommes aussi là pour entendre leurs problémati­ques. Nous sommes un échelon qui a vocation à faire changer le quotidien des gens. L’enjeu de l’élection est de transmettr­e un pouvoir à des représenta­nts démocratiq­uement élus.

Les élus sont invectivés, voire brutalisés. Un repoussoir pour l’engagement politique des jeunes ?

Il faut condamner tous les actes d’intimidati­ons visant les élus. On rencontre des situations de plus en plus tendues. Mais quand on prend le temps

d’écouter les récriminat­ions des administré­s, ça apaise le débat. On peut se quitter sur un désaccord mais dans le respect de la parole de chacun. Mon conseil aux jeunes élus, c’est d’éviter de s’isoler. On apprend beaucoup sur le terrain. Avec l’Ajef, nous leur proposons des formations pratiques afin d’être mieux outillés pour répondre aux sollicitat­ions des habitants et désamorcer des situations de tension. Sans jeter la pierre à nos collègues élus des départemen­ts, des régions et nationaux, les élus municipaux sont plus directemen­t « à portée de baffe » de leurs administré­s. Même si tout ne relève pas de la compétence municipale, les besoins et les attentes des habitants se transfèren­t généraleme­nt sur nous.

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui souhaitent s’investir en politique ?

Tout le monde est détenteur de pouvoir politique de par ses choix de vie. On a tous cette force individuel­le qui peut avoir un impact à l’échelle collective. Par ailleurs, arrêtons de considérer la politique comme un gros mot. Cela dessert la représenta­tion des élus. On ne peut pas remettre en cause l’intégrité de tous les hommes et toutes des femmes en politique. Leur investisse­ment est colossal. Cet engagement se fait au service de conviction­s. Et un dernier conseil : si

on se lance en politique, ce ne doit absolument pas être pour y faire carrière.

Quel message adressez-vous aux jeunes désabusés par la politique française ?

La République nous permet d’exprimer des choix de manière démocratiq­ue. Il serait dommageabl­e que les jeunes se détournent des institutio­ns. C’est ni plus ni moins que leur vie qui s’y dessine. Il est important qu’ils en prennent la mesure et n’abandonnen­t pas la dimension collective. Et je les invite à voter pour les élections européenne­s du 9 juin, puisque beaucoup de décisions se prennent à l’échelle européenne.

Au regard de la pyramide des âges du corps électoral, les jeunes représente­nt une portion congrue. Cette infériorit­é numérique ne les place-telle pas en situation de faiblesse ? Si une plus grande partie de la jeunesse s’exprimait électorale­ment, cela contrebala­ncerait les politiques jeunesse et de solidarité parfois lacunaires. Si les jeunes veulent peser, il ne leur faut pas abandonner le terrain à ceux qui ont l’habitude de voter. Il leur appartient de porter des candidats et des programmes qui prennent en considérat­ion leurs préoccupat­ions.

 ?? | PHOTO : OUEST-FRANCE ?? Émilie Bourdon (Divers gauche), 27 ans, benjamine du conseil municipal de Nantes et codéléguée de l’antenne départemen­tale de l’Associatio­n des jeunes élus de France.
| PHOTO : OUEST-FRANCE Émilie Bourdon (Divers gauche), 27 ans, benjamine du conseil municipal de Nantes et codéléguée de l’antenne départemen­tale de l’Associatio­n des jeunes élus de France.

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