Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Les jeunes sont-ils si dépolitisés ?
Des idées d’ici. Chaque dimanche, un grand entretien pour laisser place aux idées d’ici. Aujourd’hui, Émilie Bourdon, conseillère municipale (Divers gauche) de Nantes, réfute le désengagement politique des jeunes.
Une étude du think-tank libéral Institut Montaigne de 2022 met en évidence la désaffiliation politique des jeunes. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Il ne faut pas généraliser. D’autres études montrent que l’engagement politique a pris de nouvelles formes. Leur besoin d’engagement n’a jamais été aussi fort. En témoigne l’investissement des jeunes dans le milieu associatif et le développement de nombreux collectifs, notamment sur les thématiques du changement climatique ou de la lutte pour l’égalité. Certes, aujourd’hui, le nombre de jeunes encartés dans les formations politiques est moins élevé. Mais les jeunes ne se désintéressent pas de ce qui se passe au sein des partis. En parallèle, les partis politiques doivent poursuivre leur travail sur leur programme, afin de répondre aux attentes de la jeunesse. Et ils ont à démontrer, par des exemples concrets, de la place qu’ils donnent aux jeunes.
Parmi le personnel politique, le Premier ministre Gabriel Attal est âgé de 35 ans. Aux Européennes, on trouve de jeunes têtes de liste comme Manon Aubry (LFI) ou Jordan Bardella (RN). Est-ce un subterfuge des partis ?
Un subterfuge, non. Mais il faut faire attention au raccourci qui consiste à utiliser des figures politiques jeunes pour rameuter les jeunes vers les urnes. Il peut s’agir de « cautions jeunes » qui ne se traduisent pas par une meilleure prise en compte des besoins de la jeunesse. Ce n’est pas parce qu’un acteur politique est jeune, qu’il détient l’alpha et l’oméga de la politique en faveur de la jeunesse.
En dehors des partis traditionnels, de jeunes activistes privilégient des opérations à forte résonance médiatique. Est-ce le signe d’une désaffection de la démocratie représentative ?
L’activisme a toujours existé. Souvent porté par de jeunes contestataires. Des actions non-violentes sont à la disposition des organisations pour porter leurs revendications. D’autres, plus radicales, me semblent condamnables. Quant à la démocratie représentative, les chiffres montrent que le taux d’abstention des jeunes croît lors des élections. J’ai peut-être une explication à cela, tirée de mon expérience d’élue. Sur le terrain, je rencontre beaucoup de citoyens pour lesquels le rôle de l’élu est flou. Ils ne savent
pas qu’ils peuvent les solliciter, connaissent mal les limites de leur exercice. Je constate une méconnaissance du fonctionnement démocratique, notamment des collectivités. Cela appelle un travail pédagogique et de démystification.
Avec l’Association des jeunes élus de France (Ajef), comment allezvous participer à cet effort pédagogique ?
Notre section locale de l’Ajef vise d’abord à proposer un accompagnement aux élus âgés de 18 à 35 ans. Nous programmerons également des temps privilégiés avec des jeunes citoyens de notre territoire pour leur expliquer en quoi nous sommes leur porte-voix, leur relais. Nous sommes élus sur un programme et nous sommes tenus d’assurer nos engagements auprès de nos administrés. Mais nous sommes aussi là pour entendre leurs problématiques. Nous sommes un échelon qui a vocation à faire changer le quotidien des gens. L’enjeu de l’élection est de transmettre un pouvoir à des représentants démocratiquement élus.
Les élus sont invectivés, voire brutalisés. Un repoussoir pour l’engagement politique des jeunes ?
Il faut condamner tous les actes d’intimidations visant les élus. On rencontre des situations de plus en plus tendues. Mais quand on prend le temps
d’écouter les récriminations des administrés, ça apaise le débat. On peut se quitter sur un désaccord mais dans le respect de la parole de chacun. Mon conseil aux jeunes élus, c’est d’éviter de s’isoler. On apprend beaucoup sur le terrain. Avec l’Ajef, nous leur proposons des formations pratiques afin d’être mieux outillés pour répondre aux sollicitations des habitants et désamorcer des situations de tension. Sans jeter la pierre à nos collègues élus des départements, des régions et nationaux, les élus municipaux sont plus directement « à portée de baffe » de leurs administrés. Même si tout ne relève pas de la compétence municipale, les besoins et les attentes des habitants se transfèrent généralement sur nous.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui souhaitent s’investir en politique ?
Tout le monde est détenteur de pouvoir politique de par ses choix de vie. On a tous cette force individuelle qui peut avoir un impact à l’échelle collective. Par ailleurs, arrêtons de considérer la politique comme un gros mot. Cela dessert la représentation des élus. On ne peut pas remettre en cause l’intégrité de tous les hommes et toutes des femmes en politique. Leur investissement est colossal. Cet engagement se fait au service de convictions. Et un dernier conseil : si
on se lance en politique, ce ne doit absolument pas être pour y faire carrière.
Quel message adressez-vous aux jeunes désabusés par la politique française ?
La République nous permet d’exprimer des choix de manière démocratique. Il serait dommageable que les jeunes se détournent des institutions. C’est ni plus ni moins que leur vie qui s’y dessine. Il est important qu’ils en prennent la mesure et n’abandonnent pas la dimension collective. Et je les invite à voter pour les élections européennes du 9 juin, puisque beaucoup de décisions se prennent à l’échelle européenne.
Au regard de la pyramide des âges du corps électoral, les jeunes représentent une portion congrue. Cette infériorité numérique ne les place-telle pas en situation de faiblesse ? Si une plus grande partie de la jeunesse s’exprimait électoralement, cela contrebalancerait les politiques jeunesse et de solidarité parfois lacunaires. Si les jeunes veulent peser, il ne leur faut pas abandonner le terrain à ceux qui ont l’habitude de voter. Il leur appartient de porter des candidats et des programmes qui prennent en considération leurs préoccupations.