Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Robert-Houdin, le roi des magiciens

Légendes et fantômes de l’Ouest. Au coeur de Blois se dresse une curieuse maison. Avec son dragon à six têtes qui anime sa façade, elle rend hommage à Jean-Eugène Robert-Houdin.

- Françoise SURCOUF.

La cité royale ligérienne compte nombre de hauts lieux historique­s, depuis la demeure préférée de Louis XII et d’Anne de Bretagne jusqu’aux vestiges de l’Hôtel de Cheverny construit par Semblançay, financier de François Ier qui termina sa douteuse carrière au bout d’une corde au gibet de Montfaucon. Sans oublier la maison du général Hugo, où son fils écrivain, Victor, vint souvent séjourner.

Mais la Maison de la magie reste sans doute l’un des endroits les plus étonnants et les plus mystérieux. De partout, les plus grands illusionni­stes y viennent en pèlerinage sur les traces du plus exceptionn­el d’entre eux.

Fils d’horloger

L’horloger Prosper Robert tient boutique à Blois (Loir-et-Cher) dans la Grande-Rue, dans le quartier du Malassis. C’est là que naît, le 7 décembre 1805, son deuxième fils, Jean-Eugène. Hélas, le sort s’acharne sur la petite famille puisqu’après la mort de l’aîné des enfants en 1806, c’est l’épouse qui disparaît trois ans plus tard.

Orphelin de mère, le jeune garçon est élevé par Marguerite, avec qui son père s’est remarié. Très tôt, il se passionne pour la mécanique et, alors qu’il a huit ans et qu’une maladie le tient au lit, un vieil ami de Prosper vient le distraire. Il connaît de multiples « tours de mains » qui fascinent le gamin, lequel montre immédiatem­ent des dispositio­ns étonnantes pour ces petits jeux.

Jean-Eugène se voit volontiers horloger, mais son père rêve pour lui d’une destinée plus prestigieu­se et lui fait suivre des études de lettres au collège d’Orléans. Il en sort en 1823 et devient donc clerc de notaire chez Me Roger, près de Blois. Mais ce travail ne l’intéresse guère.

Une véritable révélation

Brave homme, son patron convainc Prosper de laisser son fils étudier l’horlogerie. Il fait son apprentiss­age chez un cousin et, reçu « ouvrier » en 1828, commence à travailler chez Monsieur Noriet à Tours.

C’est lors de ce séjour qu’il découvre la prestidigi­tation. Un bouquinist­e lui remet par erreur le Dictionnai­re encyclopéd­ique des amusements et des sciences, au lieu d’un traité d’horlogerie. Ce manuel, initiation aux sciences physiques mais également aux illusions d’optique, fait au jeune homme l’effet d’une véritable révélation. Il ne rêve plus que de se faire magicien.

Il achète alors pour dix francs quelques secrets que détient un certain Maous, à la fois jongleur et imitateur de chants d’oiseaux. Il entame également un tour de France de compagnon durant lequel il tombe malade. Alors qu’il manque de mourir d’intoxicati­on alimentair­e, un mystérieux saltimbanq­ue du nom de Torrini lui sauve la vie. Il le suit un temps de foire en foire et s’initie à l’art de l’escamotage.

Ce curieux apprentiss­age terminé, Jean-Eugène revient à Blois, qu’il quitte bientôt pour la capitale. En juillet 1830, il épouse Céline Houdin et décide alors d’accoler son patronyme à son propre nom pour se démarquer des nombreux homonymes qui exercent le métier d’horloger.

Jusqu’en 1839, il dépose plusieurs brevets d’inventions comme le réveilbriq­uet, un réveil-matin qui fait surgir d’une boîte une bougie allumée au moment où la sonnerie retentit. Il s’investit aussi dans la fabricatio­n d’automates : le « joueur de gobelets », les « danseurs de corde » ou les « oiseaux chantants ». Il crée l'« écrivain-dessinateu­r », qui a beaucoup de succès à l’Exposition universell­e de 1844. À la mort de sa femme, il se concentre complèteme­nt sur sa vocation d’illusionni­ste et travaille sur son projet de magie.

Le magicien scientifiq­ue

À partir de juin 1845, il présente ses Soirées fantastiqu­es dans un théâtre du Palais Royal. Le succès est tel que le roi Louis-Philippe lui-même l’invite au palais pour une représenta­tion exceptionn­elle. Au cours de celle-ci, il sort de son « foulard aux surprises » de nombreux objets et fait fleurir son « oranger merveilleu­x ». Sa notoriété croît encore lorsqu’il présente la « seconde vue », un exercice de divination et qu’il met en « suspension éthéréenne » son jeune fils Émile, qui tient en l’air à l’horizontal­e, simplement appuyé par un coude sur une canne !

Expatrié à Londres après la révolution de 1848, il se produit devant la reine Victoria. En mai 1849, il rouvre son théâtre parisien mais aspire désormais à faire oeuvre de science. En 1853, il met un terme à sa carrière de magicien lors d’une tournée en Angleterre, en Belgique et en Allemagne.

Jean-Eugène Robert-Houdin n’est alors pas encore considéré comme un scientifiq­ue, malgré les brevets qu’il a déposés en horlogerie et en électricit­é. Il achète une propriété à Saint-Gervais-la-Forêt (Loir-et-Cher) pour se consacrer à ses recherches. Pragmatiqu­e, il développe des systèmes automatiqu­es pour s’éviter les tâches répétitive­s, se révélant ainsi précurseur de la domotique. Le portail d’entrée du parc est équipé d’une gâche électrique qui permet l’ouverture à distance. Certaines de ses inventions, comme le plastron électrique des escrimeurs, sont encore utilisées de nos jours.

Dès 1851, il présente aux notables de Blois une expérience d’éclairage à arc électrique avec un fil de bambou enduit de poudre de carbone. Un procédé qui anticipe l’ampoule à filament métallique de Thomas Edison (1878). En 1869, il voit enfin s’ouvrir les portes de l’Académie des sciences, mais l’armée prussienne prend Blois. Épuisé par les privations de l’occupation, Jean-Eugène RobertHoud­in meurt d’une pneumonie, le 13 juin 1871. Il reste aux yeux de ses confrères magiciens le plus grand d’entre eux. Ehrich Weisz choisira d’ailleurs le pseudonyme Houdini en son hommage.

 ?? | PHOTO : F. CHRISTOPHE. VILLE DE BLOIS ?? La Maison de la magie, à Blois, dans le Loir-et-Cher.
| PHOTO : F. CHRISTOPHE. VILLE DE BLOIS La Maison de la magie, à Blois, dans le Loir-et-Cher.
 ?? | PHOTO : PHOTO D'ÉPOQUE. DOMAINE PUBLIC ?? Jean-Eugène Robert-Houdin, prestidigi­tateur et inventeur.
| PHOTO : PHOTO D'ÉPOQUE. DOMAINE PUBLIC Jean-Eugène Robert-Houdin, prestidigi­tateur et inventeur.

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