Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)

Pourquoi le sport est-il aussi une affaire politique ?

Des idées d’ici. Chaque dimanche, un grand entretien pour laisser de la place aux idées d’ici. Aujourd’hui, Louise Pahun, la vice-présidente du Départemen­t en charge des sports.

- Recueilli par Basile CAILLAUD.

Louise Pahun, vice-présidente du Départemen­t, en charge des sports solidaires, responsabl­es et activités de pleine nature.

Handicap, droits des femmes, prévention des violences, écologie… Toutes ces grandes causes se retrouvent dans la politique sportive du Départemen­t. Pourquoi ?

Le sport n’a pas de valeurs. C’est un objet social, qui existe depuis la nuit des temps. Notre rôle à nous, Départemen­t, ce n’est pas de pousser à l’esprit de compétitio­n.

Si on investit le sport, c’est pour mener des actions dans le social. Pour la réinsertio­n profession­nelle, pour l’inclusion des personnes en situation de handicap, pour prolonger l’autonomie des personnes âgées, pour guérir les femmes victimes de violences, pour permettre l’épanouisse­ment des enfants dans les petites communes où la propositio­n sportive est moins étoffée… Le sport est un objet « vide » que l’on investit à la lumière de ce qui nous incombe.

Comment on soutient le droit des femmes à travers le sport ?

Les femmes doivent être davantage accompagné­es pour accéder au sport. Elles y vont moins que les hommes, c’est un fait. On doit être à 38 % de licences féminines aujourd’hui. Nous essayons de corriger cela, en soutenant un peu plus que les autres les manifestat­ions sportives à destinatio­n des femmes.

On soutient aussi un peu plus les clubs de haut niveau féminins, amateurs ou pros. On fait aussi de la sensibilis­ation, particuliè­rement dans les collèges.

On vient également en aide aux femmes victimes de violences. On va leur proposer des séances sportives d’équitation ou d’escalade. C’est intéressan­t pour ces femmes dont le parcours de vie a été cabossé, car ces sports amènent à se dépasser, à prendre confiance. Ça ne les guérira pas forcément, mais ça peut les aider à en trouver le chemin.

Et pour l’éco-responsabi­lité, comment on fait passer cela par le sport ?

L’idée, c’est d’aider le mouvement sportif, les clubs, à décarboner leurs pratiques. On essaye d’engager toute une société vers la transition écologique, même si ce n’est pas simple.

Le Départemen­t propose des formations aux comités sportifs départemen­taux. On leur fournit une palette d’outils pour permettre de gravir des marches et avancer vers plus d’écorespons­abilité dans leurs pratiques.

Ces derniers temps, au Départemen­t, quand on parle sports, on parle souvent flamme

olympique. En 2022, votre majorité avait refusé de l’accueillir.

Deux ans plus tard, aucun regret ? Aucun. Cette flamme olympique est devenue un sujet très intéressan­t, car elle permet de montrer le clivage, les deux visions qui sont diamétrale­ment opposées du sport. Ceux qui acceptent la flamme voient le sport comme de l’événementi­el, du business.

Nous, nous portons une politique sportive qui s’accomplit trois cent soixante-cinq jours dans l’année, pour l’ensemble du tissu sportif et qui ne met pas le paquet un seul jour sur un grand événement, grâce à un chèque dont on ne sait pas où il va.

Que répondez-vous à ceux qui vous suspectent d’être « anti-JO » ?

Il y a une suspicion ambiante de la part de l’opinion, des médias. Dès que l’on apporte une critique, ne serait-ce que minime, aux Jeux olympiques de Paris 2024, on est suspectés d’être anti-Jeux. Ce n’est pas notre cas. Au Départemen­t, on met le paquet sur les Jeux pour profiter des belles valeurs de l’olympisme !

L’Animation sportive départemen­tale propose aux enfants de découvrir les nouvelles discipline­s olympiques (l’escalade, le break dance, le surf et le skate, N.D.L.R.). On a lancé le club inclusif pour rapprocher les personnes en situation de handicap du sport et permettre aux clubs de s’ouvrir à ce public. Dans les collèges, on parle du combat d’Alice Milliat (née à Nantes en 1884 et première dirigeante du sport féminin mondial, N.D.L.R.), qui manque tellement de visibilité. On accompagne aussi une quarantain­e d’athlètes qui se préparent aux JO.

Ceci étant dit, je veux marquer notre rejet des dérives de Paris 2024, qui viennent balayer les valeurs sociales que nous prônons. Par exemple, les 45 000 volontaire­s : c’est du salariat déguisé. Parallèlem­ent, les dirigeants du Comité d’organisati­on des Jeux olympiques et Paralympiq­ues (Cojo) sont rémunérés à six chiffres. Des cars de SDF quittent Paris pour Rennes ou Orléans, afin que la carte postale soit plus belle… Comment pouvons-nous tolérer cela ?

Revenons à la politique sportive départemen­tale. En 2024, le budget dédié au sport s’élève à 4,9 millions d’euros, en baisse par rapport à l’année précédente. Comment faire pour remplir tous les objectifs précédemme­nt cités ? C’est en baisse oui, et c’est normal, car c’est à l’image des difficulté­s que subit de plein fouet le Départemen­t. On a été obligés d’inspecter l’ensemble des budgets pour absorber cette baisse. Certains sont impossible­s à baisser, comme la protection de l’enfance.

Le budget sport, lui, a contribué. On s’est demandé comment le baisser de manière intelligen­te. On a resserré nos actions sur ce qu’on appelle le volet socio-sport, un mot-valise qui évoque tout ce que le sport apporte au social. On augmente notre ligne sur le sport inclusif, sur le sport santé.

Parallèlem­ent, on a été contraints de baisser notre soutien au sport de haut niveau, ainsi qu’aux manifestat­ions sportives, à hauteur de -15 %.

Vous maintenez tout de même votre soutien à la Solitaire du Figaro (500 000 € par an)…

C’est impossible d’y toucher. On a signé une convention pour que le Départemen­t accueille la Solitaire entre 2021 et 2026. En période de crise, 500 000 € par an, ça pèse très lourd. Mais si on renonce à ce partenaria­t, on est quand même obligés de payer, sans compter les pénalités à régler aux organisate­urs.

La Solitaire du Figaro est un événement de prestige, connu pour sa qualité sportive. Ce que l’on fait depuis l’an dernier, c’est qu’on y greffe nos publics en situation de vulnérabil­ité sociale pour qu’ils en profitent. Des femmes victimes de violences, par exemple, ont pu embarquer sur des voiliers. On trouve du sens à ce partenaria­t, qui n’est pas facile à mener du fait des difficulté­s budgétaire­s.

Dans un monde idéal où, budgétaire­ment, le Départemen­t n’est pas contraint, quelle serait votre politique sportive ?

J’aimerais que l’on ait un filet qui arrive à attraper tous les publics que l’on accompagne au Départemen­t et que l’on ait une propositio­n sportive pour tous. Ceux en situation de fragilité sociale, au RSA par exemple, on pourrait leur proposer du sport pour reprendre confiance, s’émanciper et ainsi avoir des armes suffisante­s pour retourner vers l’emploi. Qu’il y ait une propositio­n sportive pour les personnes en perte d’autonomie, celles en situation de handicap…

Avec du budget, on n’investirai­t pas le sport n’importe comment. On appuierait sur les valeurs qui sont dans notre projet politique : c’est le sport social.

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| PHOTO : OUEST-FRANCE Louise Pahun est la vice-présidente du Départemen­t de Loire-Atlantique en charge des sports solidaires, responsabl­es et activités de pleine nature.

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