Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Place nette à Nantes : opération XXL ou XXS ?
Après Marseille, Lille et la région parisienne, le ministère de l’Intérieur a décliné son opération Place nette XXL à Nantes, mardi. Mais est-ce un coup de com’ ou un vrai coup porté au trafic de drogue ?
Quelques jours après le déploiement massif de policiers et gendarmes, la communication sur l’opération Place nette XXL, qui a eu lieu à Nantes mardi, se confronte aux réalités du terrain. Une communication d’ailleurs bien verrouillée : aucune information ne filtre du commissariat Waldeck-Rousseau ni du groupement de gendarmerie. Le préfet et le ministère de l’Intérieur se réservent la primeur des annonces.
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a dévoilé, mardi matin, la déclinaison à Nantes de Place nette XXL, afin de « lutter contre la drogue, ses réseaux et son argent sale ». « Des dizaines d’interpellations judiciaires seront effectuées », annonçait-il sur le réseau social X. Vendredi, la préfet s’est réjoui de « 88 interpellations, 177 infractions relevées, 72 véhicules immobilisés et six étrangers en situation irrégulière placés en centre de rétention administrative ».
Une cible élargie à « la délinquance de masse »
Les premières opérations judiciaires d’envergure, mardi, ont ciblé deux camps de Roms au nord de Nantes, dans le cadre de la lutte contre les cambriolages et les atteintes aux biens. Des cibles en décalage avec le discours du gouvernement, dont la communication est axée sur les stupéfiants. Lors d’une conférence de presse mardi, le préfet Fabrice Rigoulet-Roze a toutefois élargi le champ d’action de l’opération à la lutte contre « la délinquance de masse ».
En effet, l’agenda des enquêteurs ne colle pas forcément avec celui de la communication gouvernementale, ni celui des forces actuellement déployées à Nantes (CRS, gendarmes mobiles). Celui des trafiquants non plus.
Trois semaines avant cette Place nette XXL, la brigade des stups a frappé fort, au 38, rue Antoine-Watteau, avec d’importantes saisies de drogues et d’armes de guerre. Ce coup de filet du 13 mars était calqué sur une grosse livraison de stups en provenance des Pays-Bas.
« Pas de bol pour les chiffres », ironise un policier nantais. Il pointe le décalage entre les consignes et la réalité du terrain : « On a une commande du ministre, voilà les moyens qu’on vous donne, et vous faites du stup, du stup, du stup. C’est ça notre mission. Mais faire des kilos de drogue et ramasser de l’argent sale, ça ne se fait pas en claquant des doigts. »
Dans la lutte contre la drogue qu’il connaît bien, cet autre fonctionnaire nantais ne s’attend pas à grand-chose: « L’opération XXL risque d’avoir des résultats XXS… » Pour autant, il ne jette pas tout de cette action : « Que l’on profite des forces mobiles disponibles pour aller dans des camps qui demandent un certain niveau de sécurité, je trouve cela positif. Cela permet aux unités d’être en totale sécurité. » Il poursuit : « On veut montrer qu’on est là, on crée un sentiment de sécurité pour contrecarrer celui d’insécurité. »
Depuis mardi, certaines interpellations estampillées Place nette XXL n’ont pourtant rien à voir avec le déploiement supplémentaire de forces de l’ordre. La préfecture a par exemple annoncé, mardi, la saisie d’une arme. Celle-ci fait suite à un appel au 17, par un habitant du quartier Doulon-Bottière, qui avait assisté à une rixe mardi, vers 18 h. Une intervention courante pour les policiers de voie publique. Il ne s’agit finalement que d’un pistolet à grenaille, arme de catégorie D.
Mercredi soir, deux jeunes interpellés pour des rodéos à scooter sont venus gonfler les chiffres. « Il ne faut pas croire que ces personnes n’auraient pas été interpellées sans Place nette XXL », lance un policier de terrain.
« On appose un label sur des interpellations »
Un autre ajoute : « Le problème, c’est de laisser croire aux gens qu’on ne fait rien le reste du temps, laisser croire à la population qu’on peut gérer la police de cette façon et que le travail de fond n’aurait aucune importance. C’est une erreur. La vérité, c’est qu’on est tous les jours sur le terrain et sur les traces des trafiquants. Là, on appose un label Place nette. C’est de l’habillage, de la com’. »
Le renfort de policiers et les opérations ciblées ont permis d’interpeller des consommateurs de stupéfiants, place du Commerce ou encore aux Dervallières. « Des gens qui se trouvaient avec un bédo au mauvais endroit au mauvais moment », constate une source proche du dossier.
Côté judiciaire, un certain nombre de ces interpellations se sont terminées par des compositions pénales (alternative aux poursuites) ou classement sans suite.
« Savoir si ça change la vie des gens »
« À la croisée des trams, on y est tous les jours, commente un autre policier. Alors c’est bien, mardi dernier, il y avait beaucoup de monde, beaucoup de gens contrôlés. Mais le bon indicateur, c’est de savoir si ça change la vie des gens… » Les vendeurs de tabac de contrebande et les dealers étaient présents le matin. Ils sont très vite revenus après le départ des policiers.
Pour le procureur de la République Renaud Gaudeul, qui s’est exprimé lors du conseil municipal vendredi, les grosses opérations de police judiciaire comme celle du 13 mars, au 38, rue Watteau, « doivent se combiner avec le harcèlement quotidien des points de deal ». La présence massive des forces de l’ordre est donc « indispensable ».
À l’issue de cette première semaine, une affaire sort toutefois du lot. Mardi midi, dans une barre d’immeuble rue Antoine-Watteau, aux Dervallières, les policiers ont saisi près de 700 g d’héroïne, 80 g de cocaïne et près de 3 000 € en liquide. Une habitante de cet immeuble est ravie : «La police a fait le ménage dans le hall. Ils ont dégagé les escaliers et les communes. Pour la première fois depuis plusieurs semaines, on peut circuler librement. J’espère que ça durera un peu. »
Du travail en plus pour des enquêteurs submergés
Place nette XXL accentue une problématique importante, à laquelle policiers sont confrontés depuis longtemps. S’il y a du personnel sur le terrain pour interpeller en ce moment, il en manque toujours autant dans les bureaux, derrière, pour boucler les enquêtes.
« Les dossiers sont confiés à des unités qui croulent déjà sous le travail. Ils sont obligés de mettre d’autres affaires en stand-by », dit un connaisseur. « On fait face, car nous sommes les rois du bricolage, complète un officier. Mais ça rajoute un peu d’agacement et de fatigue dans des services qui n’en manquent pas. » Sur cette opération, il faut en plus assumer la pression de la hiérarchie et des autorités qui ont des comptes à rendre et des bilans quotidiens à envoyer à Paris.
Ce déploiement de forces mobiles à Nantes fait aussi tiquer dans les couloirs du palais de justice. Le Syndicat de la magistrature s’en est ému dans un communiqué de presse, le 26 mars. « La question du traitement judiciaire des trafics de stupéfiants est de nouveau polluée par l’approche quantitative, la pression statistique et des motivations électoralistes, au point de ne laisser aucune chance à l’émergence d’un débat de qualité, dénonce le syndicat, classé à gauche. La réponse ne pourra pas être qu’une escalade répressive. »