Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Le labo Arc’Antique donne des ailes aux historiens
À l’occcasion du 80e anniversaire du Débarquement, l’exposition « Mémoire des airs » met en lumière, à Nantes, la façon dont science et archéologie retracent l’histoire d’aviateurs à partir de vestiges.
Tout a commencé en 1988 quand des pêcheurs de Binic (Côtesd’Armor) remontent dans leurs filets un morceau de métal long de quatre mètres. C’est un bout d’aile d’avion, attaqué par la corrosion. Ils le remettent à une association locale qui se passionne pour son histoire. En 2020, elle confie le vestige au laboratoire Arc’Antique – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique, à Nantes : son expertise dans la conservation et la recherche sur le patrimoine archéologique terrestre et sous-marin est mondialement reconnue. Les scientifiques mettent en place un protocole pour stopper la corrosion et stabiliser la face de l’aile. Le dessous est nettoyé et laissé en l’état.
« Il s’agit d’un bord d’attaque, autrement dit la partie avant de l’aile d’un Spitfire de la Royal Air Force (RAF), en duralumin, un alliage à base d’aluminium qui vieillit très mal, surtout dans l’eau de mer, expose Jane Echinard, responsable d’Arc’Antique. Quand on nous l’a confié, on n’imaginait pas que cela allait être le début d’une aventure à l’échelle européenne : le projet triennal Procraft pour la sauvegarde du patrimoine en aluminium de la Seconde Guerre mondiale. »
L’équipe d’Arc’Antique décrypte l’inscription de chiffres sur l’aile, ce qui permet d’identifier la mission à laquelle participait l’avion quand il s’est crashé. « On a pu retrouver son histoire : le 1er juin 1944, l’escadron 131 de quatre Spitfire a décollé de la base de la RAF en direction de Saint-Brieuc et a ciblé un train. Mais un avion a été touché par l’artillerie antiaérienne nazie et a sombré en mer. Il était piloté par William James Atkin. »
La perspective du 80e anniversaire du Débarquement et de la Libération donne à l’équipe d’Arc’Antique l’idée de faire connaître au grand public cet aspect particulier de leur travail scientifique sur la Seconde Guerre mondiale. La rencontre aux Archives départementales de Loire-Atlantique avec Philippe Charon, directeur, et Clothilde
Gautier-Courtaugis, est déterminante. Ils sont partants pour monter une expo dans leurs locaux. Eux se chargent de l’aspect documentaire avec photos, cartes et films pour situer le contexte des combats aériens et des bombardements alliés. Ainsi naît Mémoire des airs, quand l’archéologie et les sciences éclairent le passé.
Trois fragments de l’avion de Saint-Exupéry
L’aile du Spitfire est présentée en bonne place avec d’autres vestiges comme l’hélice d’un bombardier trouvée au large de Fécamp en 2016, prêté par le Drassm (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines) à Arc’Antique. « Cette hélice très corrodée nous a permis de réaliser de nombreux tests sur les revêtements de protection. Il y a aussi un container qui a servi lors de parachutage d’armes ou de pigeons, trouvé près de Châteaubriant et… des vestiges de l’avion de Saint-Exupéry », précise Jane Echinard.
De façon exceptionnelle sont présentés trois fragments de l’épave du Lightning P38, identifié en 2003 comme étant bien l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry, tombé lors d’une mission de reconnaissance en Méditerranée, au large de Marseille. « Le musée de l’air du Bourget, qui la garde dans ses réserves, a confié ces trois fragments à Arc’Antique pour en assurer la préservation. Nous avons défini un protocole qui, s’il est validé, sera appliqué à l’ensemble de l’épave », dévoile Jane Echinard.
L’exposition met aussi en lumière le rôle de résistantes du réseau MarieOdile, qui exfiltraient des pilotes alliés. Il avait été créé à Nancy par
Pauline Barré de Saint-Venant et avait une section en Loire Inférieure, l’actuelle Loire-Atlantique. « Il comprenait une majorité de femmes, dont Marie Airiau, Julienne Riou ou Anne Ledu, comme le montrent des documents des Archives départementales. Elles cachaient des armes, hébergeaient des aviateurs et les aidaient à regagner l’Angleterre, explique Philippe Charon. L’expo présente aussi Jean Demozay, aviateur nantais formé par la Royal Air Force, et troisième As français. »
Jusqu’au dimanche 30 juin, aux Archives départementales 6, rue Bouillé, à Nantes.
Contact. tél. 02 51 72 93 20. Entrée libre.