Dimanche Ouest France (Morbihan)

« Des héros de 39-45 engagés jusqu’au sacrifice »

L’historien caennais Stéphane Simonnet dresse le portrait de onze Françaises et Français de la Seconde Guerre mondiale. Tous ont fait le choix de la mort plutôt que du déshonneur.

- Propos recueillis par Jean-Christophe LALAY.

Comment vous êtes-vous intéressé à cette thématique particuliè­re du sacrifice pendant la Seconde Guerre mondiale ?

L’idée part d’une personnali­té présente dans le livre. Bertrand de Saussine est une figure dans l’histoire de mon ex-belle famille. J’ai souvent entendu parler de cet homme, mort tragiqueme­nt au large du Gabon en 1940, à bord de son sous-marin. L’histoire oubliée de ce militaire de Vichy qui préfère envoyer au fond de l’eau son navire plutôt que de se rendre. Progressiv­ement, j’ai eu les archives, le récit de ce sacrifice. De la matière pour en faire un livre. À partir de ce premier personnage, mon éditeur m’a demandé de raconter d’autres parcours de femmes et d’hommes qui se sont sacrifiés, voire suicidés au cours de la Seconde Guerre mondiale. Je raconte l’histoire de onze personnes qui ont choisi la mort plutôt que le déshonneur.

Comment avez-vous orienté vos recherches ?

Je voulais montrer des hommes, des femmes, différente­s périodes de la guerre, aussi bien l’année 1940 que 1944. Et puis des fronts dont on ne parle pas souvent, la ligne Maginot, le front de l’Est avec l’escadrille Normandie-Niemen. Je voulais raconter différents profils, des fantassins, des aviateurs, des résistants. Ça n’a pas été simple. Il existe de nombreuses histoires de suicide, de sacrifice, mais souvent il n’y a pas d’informatio­n derrière, pas de dossier d’archives. Ces histoires ne sont pas toujours vérifiable­s. J’ai un regret, n’avoir pu écrire qu’un seul portrait de femme.

Mourir pour l’honneur est au coeur des gestes de vos personnage­s ?

Nous sommes dans le domaine du chevaleres­que. Le colonel Dutray s’est tiré une balle de revolver à Lille, en juin 1940, une heure avant la reddition organisée sur la Grand’Place. Il a dit haut et fort qu’il ne se rendrait jamais aux Allemands, qu’il ne leur remettrait pas ses canons. On peut dire que son geste ne sert à rien, qu’il n’empêche pas la reddition de son unité. Mais il s’était juré de ne jamais se rendre aux Allemands vivant. Le geste pour l’honneur. Il n’a rien à gagner. Seulement le statut de « Mort pour la France ». C’est l’ancien soldat de la Première Guerre mondiale qui participe à la Seconde. Voir défiler ses hommes désarmés face à l’ennemi était inconcevab­le.

Ces valeurs, dont celle de l’honneur, sont-elles liées à des parcours militaires ? Effectivem­ent, il faut revenir dans la tête de ces gens-là. Ils se sont construits depuis les années 1920 et 1930 dans des schémas de discipline, de respect de l’autorité et des ordres et bien sûr de patriotism­e. Sortir du chemin, c’est compliqué, ce n’est pas dans leur fonctionne­ment. Honneur et Patrie, c’est la devise de la Marine. On ne rend pas son bâtiment à l’ennemi. Leur geste final est presque une continuité de leur engagement militaire dans lequel la mort fait partie du jeu.

Vos personnage­s sont morts pour l’honneur, pour sauver les autres ou pour ne pas trahir. À part leur fin tragique, ont-ils un autre point commun ?

L’engagement. Ils se sont tous engagés dès le départ, dans une unité militaire, dans la France libre, dans un réseau de résistants. Ils n’ont pas accepté l’inaction. Certains d’entre eux ont même devancé la mobilisati­on de 1939 comme Fred Scamaroni, ce Corse, chef de cabinet du préfet du Calvados qui finira comme agent de Londres, un proche du général de Gaulle, pris par les Italiens sur son île natale. Le courage est évidemment une autre dimension qui les réunit. Je pense aux hommes du Bureau central de renseignem­ents et d’action (BCRA) de la France libre, comme Henri Labit, parachutés à l’aveugle dans la forêt de Grimbosq, près de Caen, au milieu des lignes allemandes. Et bien sûr leur sacrifice final les rassemble. Mais même l’engagement est un sacrifice. Je pense à Berty Albrecht qui participe à l’activité d’un réseau de Résistance. Elle a 50 ans, une fille. Elle abandonne une vie confortabl­e pour vivre dans un dénuement total, dans une chambre de bonne. Juste pour travailler au mouvement Combat avec Henri Frenay.

En 1939-1945, de nombreux pays comme la France ont été occupés par les Nazis. Aujourd’hui, l’Ukraine l’est par les Russes. Cette

situation particuliè­re explique-t-elle ces gestes héroïques ?

Dans ce type de conflits, on observe des phénomènes de rejet de l’occupant, d’engagement, de résistance. Tout ça, on le connaît en 1939-1945 et on les retrouve dans des guerres actuelles. Cela se reproduit pour chaque territoire qui est envahi par un agresseur. En Ukraine, il y a des gens qui entrent dans la clandestin­ité, dans la résistance, qui s’engagent pour la défense de leur pays, qui vont protéger les leurs. Ce sont des mécanismes naturels évidents. Mais tous ne les ont pas. Une très faible minorité des Français ont été dans la Résistance. C’est pourquoi les gestes de ces personnali­tés sont d’autant plus exceptionn­els.

Cet engagement que vous saluez à travers les onze portraits de héros de 1939-1945 n’est-il pas une valeur commune à tous les conflits ?

Nous retrouvons les mêmes valeurs de courage, d’engagement sur les conflits contempora­ins. Le même désir de défendre sa patrie, son sol. Je reviens sur l’Ukraine. Il y a un patriotism­e assez important depuis la création de ce pays. C’est le pays des révolution­s, la révolution orange, la révolution de Maïdan… Un peuple qui est habitué à se révolter avec un fort mouvement nationalis­te symbolisé aujourd’hui par Zelensky mais qui existe depuis longtemps. On peut le faire remonter jusqu’au IXe siècle en expliquant comment l’Ukraine s’est constituée. On voit ainsi que ce pays s’est forgé un nationalis­me jusqu’à son indépendan­ce en 1991. Je pense que c’est ça qui permet aux Ukrainiens de tenir aujourd’hui.

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| PHOTO : MARTIN ROCHE, OUEST-FRANCE L’historien Stéphane Simonnet devant la préfecture de Caen (Calvados).

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