Dimanche Ouest France (Morbihan)

« Des inconnues m’ont aidée à trouver ma mère biologique »

Dominique, 51 ans et née sous X, cherchait à connaître l’identité de sa mère. Elle a trouvé de l’aide dans sa quête sur un groupe Facebook, où internaute­s et bénévoles s’entraident.

- Marie TOUMIT.

« Jusqu’à mes 14 ans, j’ai grandi dans l’idée que ma mère était morte à ma naissance », commence Dominique Guyader-Lasbories. Cette Finistérie­nne de 51 ans a été élevée par ses grandspare­nts paternels. Elle voyait son père régulièrem­ent. Un jour, au milieu des années 1980, l’adolescent­e questionne sa grand-mère. « Elle m’a avoué que ma mère n’était pas décédée à la maternité… »

Depuis, Dominique n’a eu de cesse de s’interroger sur cette mère dont elle ne connaît que le prénom, Marie-Hélène. « Toute ma vie, j’ai voulu mettre un visage sur ce nom. » Ce n’est qu’en septembre 2022 que le voile va se lever. « C’est grâce à Julie et Emma », insiste Dominique. Les deux inconnues, croisées sur Facebook, ont été déterminan­tes.

« Sujet tabou »

Retour en arrière. Dominique, née à Brest, découvre sur son acte de naissance que sa mère a accouché sous X. Elle fait quelques recherches sans succès. Du côté de son père, elle se heurte à un mur.

« Sujet tabou. Impossible d’avoir une réponse. »

En parallèle, Dominique construit sa vie : elle se marie et a trois enfants. Elle est aide-soignante et assistante de soins en gérontolog­ie. Lorsque son père décède en 2014, il n’a pas levé le secret. Dominique s’inscrit sur des groupes Facebook, où des inconnus postent des annonces à la recherche de leurs origines, de membres de leur famille ou d’amis. « Je regardais les autres faire, en me disant : Un jour, je me déciderai », raconte Dominique.

Le plus gros groupe, intitulé Je te recherche, réunit plus de 150 000 membres. C’est là que Dominique publie un petit texte réunissant les éléments en sa possession. «Jeme suis rendu compte que beaucoup d’autres personnes étaient dans la même situation. » Notamment une femme qui lui conseille « de faire un test ADN ».

Un test ADN en ligne

Il ne s’agit pas de ceux ordonnés dans le cadre d’une procédure judiciaire – les seuls légaux en France – mais d’un test dit « récréatif ». Ces kits, interdits en France, sont achetés en ligne par des gens curieux de leurs origines. Ils renvoient un échantillo­n de leur salive à l’étranger dans les laboratoir­es d’entreprise­s privées, comme MyHeritage.

Ensuite, les résultats listent notamment des gens qui partagent des segments d’ADN avec eux. On peut y retrouver des cousins éloignés, mais aussi des personnes plus proches à condition qu’elles aient fait le même test. Ce que tente Dominique.

Entre-temps, elle est contactée par Emma, alias Emmanuelle Saget, co-administra­trice du groupe Facebook Je te recherche jusqu’à fin 2022. Cette gérante d’une auto-école à Évreux (Eure) animait bénévoleme­nt cette page avec six autres personnes.

« Après une recherche personnell­e, j’ai sympathisé avec les précédents bénévoles. Puis, j’ai pris le relais avec d’autres. J’aime aider les autres », explique celle qui modère alors les publicatio­ns, envoie des messages privés, met en relation des personnes. Emma met donc en avant la recherche de Dominique.

Passionnée de généalogie

Quand Dominique reçoit ses résultats ADN, surprise : ils ne révèlent pas de correspond­ance avec une femme qui pourrait être sa mère, mais ils montrent qu’elle partage 10,9 % d’ADN avec un homme. Un brin désemparée, elle demande conseil au groupe Facebook. « Emma m’a fait entrer en contact avec une autre membre qui pouvait regarder mon dossier, Julie. »

Julie Minter, 45 ans, vit près de Vitré (Ille-et-Vilaine). Cette passionnée de généalogie consacre une partie de son temps libre à faire des recherches bénévoleme­nt pour les autres et à explorer les archives en ligne. Via Facebook Messenger, puis par téléphone, Dominique lui confie tous les éléments en sa possession.

« En regardant ses correspond­ances ADN sur MyHeritage, notamment celle de 10 %, et les données entrées par les utilisateu­rs, j’ai pu refaire des arbres généalogiq­ues », décrit Julie. Parmi les pistes, il y a une Hélène et une Marie-Hélène. Ce prénom composé est censé être celui de la mère de Dominique.

Julie essaie aussi de contacter « l’homme aux 10 % », et trouve ses enfants sur les réseaux sociaux avec qui elle échange des messages. L’un

d’eux lui indique que leur père cherche son propre père. Avec ces éléments, Julie en déduit que l’homme avec qui Dominique partage 10 % d’ADN pourrait bien être le demi-frère de cette Hélène. Est-ce la mère de Dominique malgré le prénom un peu différent ? C’est une piste à explorer car cette femme pourrait aussi être une des cousines de la mère biologique de Dominique.

Cette Hélène vit dans le Sud-Ouest. Julie déniche facilement ses coordonnée­s et entre en contact avec elle en lui parlant de l’existence de cet homme qui pourrait être son demi-frère. « Je lui ai proposé de faire un test ADN pour le vérifier », raconte Julie. Pas très surprise de découvrir que son père ait pu avoir des enfants cachés, Hélène accepte de faire le test.

Au bout de longues semaines, les résultats tombent : cette femme partage bien 25 % de correspond­ances ADN avec cet homme qui est probableme­nt son demi-frère mais elle en a aussi 50 % avec Dominique. Hélène est donc la mère de Dominique.

« Julie a téléphoné à ma mère en lui annonçant qu’il y avait bel et bien une correspond­ance élevée avec cet homme mais qu’il y en avait une autre encore plus élevée avec moi… raconte Dominique. Ma mère a d’abord dit qu’elle ne voulait pas de contact avec la famille de mon père. » Avant de se raviser et d’accepter de recevoir un coup de fil de Dominique.

Quatre heures au téléphone

C’était le 25 septembre 2022. Un dimanche. « Ce sera une date symbolique désormais. Comme une seconde naissance », glisse Dominique. Le contact est naturel. Ce jour-là, elles se sont raconté leur vie pendant quatre heures. « Quand je lui parlais de mes trois enfants, elle notait les dates de leurs anniversai­res. Elle m’a expliqué qu’elle avait déjà quatre petits-enfants, que désormais cela lui en faisait sept. »

La mère, 78 ans, et la fille ont ensuite échangé mails et photos. « J’avais l’impression qu’elle m’attendait. Elle avait besoin de savoir que je ne lui en voulais pas. » Dominique a découvert qu’elle avait des demi-soeurs plus âgées, et un demi-frère. « Ma mère m’a expliqué que la relation était très compliquée avec mon père. Elle m’a demandé pardon », raconte Dominique.

Hélène, qui n’avait jamais parlé de cette enfant à ses proches, a annoncé qu’elle avait une fille à ses autres enfants. « Je me suis dit : Ça y est, j’existe », confie Dominique qui a, elle aussi, expliqué la découverte de cette grand-mère à ses propres enfants. Elles se sont ensuite rencontrée­s. L’occasion aussi de faire connaissan­ce avec Julie en chair et en os car Hélène voulait la voir. « Elles m’ont dit merci pendant tout le repas », glisse Julie. « On a aussi appelé Emma en visio. Car c’est grâce à elle que tout a commencé. Heureuseme­nt qu’il y a des gens comme elles deux. Ce qu’elles font est extraordin­aire ! » insiste Dominique.

Après des années d’inconnu, puis des mois d’attente et de recherches, Dominique est heureuse. « J’ai de la chance. Toutes les mamans qui accouchent sous X ne veulent pas voir leur enfant. Toutes n’arrivent pas à leur parler, glisse-t-elle. On ne peut pas rattraper cinquante ans mais, profiter l’une de l’autre et créer des liens avec le reste de la famille, on va le faire. »

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| PHOTO : COLLECTION PRIVÉE Julie Minter au centre, avec Hélène et Dominique, la mère et la fille qu’elle a aidées à se retrouver.
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Sur Facebook, des groupes sont consacrés à aider des gens à la recherche de leur famille : parent biologique, enfant né sous X, etc. De es inconnus s’entraident.
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| PHOTO : SOPHIE LEGENDRE, OUEST-FRANCE « J’avais l’impression qu’elle m’attendait », confie Dominique, qui a retrouvé sa mère biologique grâce à un groupe Facebook.
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| PHOTO : SOPHIE LEGENDRE / O.-F.

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