Dimanche Ouest France (Morbihan)

En 1933, quand l’Ukraine est affamée par Staline

Documentai­re. Moissons sanglantes revient sur la famine et la répression en Ukraine, orchestrée­s par Staline en 1933. Un film salué du Grand Prix du Fipadoc 2023 (meilleur documentai­re) .

- Guillaume Ribot, réalisateu­r.

Quand avez-vous décidé de faire ce film ?

Une vieille dame m’a parlé de cette famine peu avant 2010, alors que je recueillai­s des témoignage­s en Ukraine pour un film sur le génocide des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Or, très peu de documents témoignent de cette gigantesqu­e tragédie. Moscou, centre du pouvoir soviétique, avait alors interdit aux journalist­es et photograph­es de s’y rendre. Puis j’ai découvert le voyage clandestin de Gareth Jones, qui a débuté comme jeune conseiller aux Affaires étrangères de l’ex-Premier ministre britanniqu­e David Lloyd George. Il avait étudié le russe à l’université de Cambridge, il est allé en Ukraine pour comprendre comment « le grenier à blé de l’Europe » se retrouvait affamé.

Que montrent les rares photos de cette famine ?

Les seules photos authentifi­ées, vingt-six, sont celles d’Alexander Wienerberg­er, ingénieur d’une usine de Kharkiv. Elles montrent des enfants affamés, des corps squelettiq­ues aux ventres gonflés, des morts sur les trottoirs. Je reprends aussi des images de la famine de 1921 dans l’Union soviétique (URSS) naissante, après une révolution et quatre ans de guerre civile. Les témoignage­s concordent pour dire que la famine de 1933 était pire que celle de 1921. Enfin, j’ai utilisé quelques films de fiction représenta­nt des paysans pauvres de cette époque pour illustrer leurs conditions de vie.

Il y a aussi les carnets de notes de Gareth Jones…

C’est une chance que ces carnets soient là et très lisibles. Gareth Jones, qui a traversé plusieurs villes et villages, a recueilli le récit des réquisitio­ns croissante­s de céréales, des exécutions pour quelques grains cachés. Ses carnets de notes et ses articles publiés sont accessible­s à tous sur un site dédié au journalist­e gallois, censuré rapidement, puis assassiné en Mongolie la veille de ses 30 ans.

La famine a-t-elle été organisée par Moscou ?

Les archives du pouvoir soviétique, ouvertes en 1991, confirment que Staline, informé, exigeait davantage de réquisitio­ns et de répression d’une Ukraine jugée trop hostile à la collectivi­sation agricole. Les rapports secrets indiquaien­t que les gens se nourrissai­ent « de racines » et parlaient de cas de cannibalis­me. Staline a même fermé les frontières de l’Ukraine, empêchant les gens de fuir. Le blé exporté finançait l’industrial­isation à marche forcée de l’URSS.

Que savait l’Europe, les États-Unis ?

Les chanceller­ies occidental­es étaient au courant. Au printemps 1933, le consul italien de Kharkiv écrit à Rome que les gens meurent de faim en pleine rue. Mais l’attention est alors centrée sur la menace allemande du nouveau régime nazi d’Adolf Hitler. En outre, l’Europe a besoin du blé à bas prix que continue d’exporter l’URSS.

En Ukraine, quelle est la mémoire de cette famine appelée « Holodomor » ?

Ciment de la nation ukrainienn­e, le « Holodomor », c’est-à-dire exterminat­ion par la faim, est commémoré le quatrième dimanche de novembre, depuis le milieu des années 2000, par une journée du souvenir.

Propos recueillis par Sonia LABESSE.

France 5 ,22h55.

 ?? | PHOTO : PHOTO CLANDESTIN­E RÉALISÉE PAR ALEXANDER WIENERBERG­ER ?? À Kharkiv, en Ukraine, en 1933, les enfants comme le reste de la population souffrent de la famine.
| PHOTO : PHOTO CLANDESTIN­E RÉALISÉE PAR ALEXANDER WIENERBERG­ER À Kharkiv, en Ukraine, en 1933, les enfants comme le reste de la population souffrent de la famine.

Newspapers in French

Newspapers from France