Dimanche Ouest France (Morbihan)

Ingeburge de Danemark, la reine prisonnièr­e

Un château, une histoire d’amour. Peu de princesses dans l’Histoire de France furent aussi malheureus­es qu’Ingeburge. Et pourtant, tout avait commencé comme une belle histoire d’amour…

- Françoise SURCOUF.

Veuf d’Isabelle de Hainaut, morte à vingt ans, le roi Philippe-Auguste, après un séjour en Terre sainte destiné à lui faire oublier son malheur, s’est mis en quête d’une nouvelle épouse. Il n’a qu’un fils, qu’arrivera-til si ce dernier meurt ? Pour éviter cette vacance d’héritier, il faut une reine. Pensant que la flotte danoise fera une excellente alliée en cas de guerre, Philippe porte son choix sur Ingeburge, soeur du roi Knut VI.

Bientôt, la jeune princesse quitte son pays natal et gagne la France, suivie d’une escorte d’ambassadeu­rs. De son côté, Philippe-Auguste expédie au-devant de la princesse l’évêque de Tournai, et s’avance luimême jusqu’à Amiens, où il attend avec impatience sa nouvelle épouse.

Fille de Waldemar, roi de Danemark, Ingeburge est née en 1175. Elle a donc tout juste dix-huit ans en cette année 1193, dix ans de moins que son futur époux. Tous les contempora­ins s’accordent à vanter sa grâce, sa beauté, la noblesse de son maintien et de ses manières. Aux yeux de tous, elle incarne l’idéal féminin de son époque : blonde, élancée avec d’admirables yeux clairs.

La fiancée arrive dans un Amiens en liesse le 14 août. Elle donne solennelle­ment sa main à un PhilippeAu­guste lui aussi très séduisant. Et elle semble fort heureuse de l’avoir bientôt pour époux, tandis qu’ils pénètrent dans la cathédrale.

Moins d’une heure plus tard, le couple, désormais marié, sort sur le parvis tandis que les cloches carillonne­nt. Au milieu de l’euphorie générale, le monarque déclare que son épouse sera sacrée dès le lendemain. Et, tandis que les habitants de la ville festoient, les nouveaux époux se retirent dans leurs appartemen­ts.

Une histoire d’aiguillett­e

Le lendemain, 15 août, jour de l’Assomption, Ingeburge est sacrée en grande pompe. Chacun peut alors remarquer que les amoureux de la veille sont blêmes. Quelques heures plus tard, sans fournir la moindre explicatio­n aux ambassadeu­rs du Danemark, Philippe exige qu’ils repartent en emmenant Ingeburge. Offusqués et consternés, ils refusent et quittent la France sur-lehistoire champ.

La malheureus­e épouse est conduite au prieuré de Saint-Maur (Valde-Marne) et le roi entame une procédure d’annulation. Comme il ne peut briser de sa propre autorité le lien sanctifié par l’Église, il songe à prétexter une parenté à un degré prohibé. Mais les prélats se montrent peu disposés à accepter une pareille mesure. Ils exigent qu’il fasse une tentative pour se réconcilie­r avec la reine. Mais Philippe ressort furieux de la chambre nuptiale au bout de quelques instants.

Que s’est-il passé ? Nul ne le saura jamais exactement, mais une confidence du monarque à son oncle, l’archevêque de Reims, explique sans doute le fond des choses. Le roi avoue : « Cette femme est ensorcelée, elle m’a noué l’aiguillett­e ! Il faut qu’elle retourne au Danemark ! »

Nouer l’aiguillett­e ? Cela sous-entend que la reine est une criminelle qui, par manoeuvre sournoise, a fait du roi un impuissant. L’aiguillett­e désigne en effet un lacet unissant les deux parties d’une braguette, d’où l’expression.

Femme de caractère

Début novembre, l’archevêque prononce la dissolutio­n en présence de la pauvre reine seule, sans soutien, qui ne parle ni français ni latin. Pourtant, en femme de caractère qu’elle est, la jeune épousée - dont la belle d’amour vient de se briser net – utilise le peu de vocabulair­e dont elle dispose pour exprimer son désaccord et en appeler au pape Célestin III.

Ingeburge de Danemark est enfermée à l’Abbaye Sainte-Calixte de Cysoing (Nord) tandis que le roi reprend ses recherches en vue d’un nouveau mariage. Recherches infructueu­ses, les malheurs de la reine danoise ont ému toutes les cours d’Europe. Les princes dotés de filles célibatair­es s’empressent de les marier au plus vite pour ne pas avoir à refuser leur main au roi de France.

En 1196, le souverain est finalement informé que la soeur du duc de Méranie accepte de devenir sa femme. Le 1er juin, tandis qu’on enferme Ingeburge dans la forteresse d’Étampes, en Essonne, la belle Agnès épouse Philippe. Cette fois, pas de problème d’aiguillett­e…

La colère du pape

S’il est désormais heureux en ménage, le roi ne décolère pourtant pas. Ce bonheur conjugal n’a en rien ému le pape, qui n’accepte pas le renvoi de la princesse danoise. Devant l’insuccès de ses démarches diplomatiq­ues, son légat, Pierre de Capoue, a jeté l’interdit sur le royaume de France et, l’été approchant, le peuple gronde. Nul ne peut recevoir les sacrements, les morts ne sont plus inhumés, l’air empeste le charnier et l’infection menace.

Pourtant Philippe s’obstine. Il ne renverra pas Agnès. Elle est son épouse, quoi qu’en dise Rome. Après tout, n’est-il pas le grand souverain qui a mené croisade contre les Infidèles et n’a-t-il pas, à ce titre, droit à l’indulgence du Saint-Siège ? De son côté, Knut VI n’est pas très content du traitement infligé à sa soeur. Il songe même à déclarer la guerre à la France mais le pape casse l’ordonnance de dissolutio­n.

Il faudra quatre conciles et une alliance entre l’anglais Jean sans Terre et l’empereur germanique, alliance qui rend nécessaire pour la France l’appui de la flotte danoise, pour réconcilie­r les deux époux. Entretemps, Agnès est morte en couches. En 1214, enfin, Philippe ramène Ingeburge à la cour. Quand le roi meurt en 1223, la reine danoise, pas rancunière, est à ses côtés. Elle rend l’âme en 1236. Sa captivité injustifié­e lui a volé vingt années de sa vie.

 ?? | PHOTO : MINIATURE ?? La reine Ingeburge.
| PHOTO : MINIATURE La reine Ingeburge.
 ?? | PHOTO : LOUIS-FÉLIX AMIEL ?? Philippe-Auguste.
| PHOTO : LOUIS-FÉLIX AMIEL Philippe-Auguste.
 ?? | PHOTO : CJ DUB, WIKIMEDIA ?? Le donjon du château d’Étampes, dans l’Essonne.
| PHOTO : CJ DUB, WIKIMEDIA Le donjon du château d’Étampes, dans l’Essonne.

Newspapers in French

Newspapers from France