Dimanche Ouest France (Morbihan)
Les quatre défis de la « ferme France »
L’agriculture française est fragile. Elle doit s’adapter au changement climatique et rester compétitive. Mais le plus urgent est sans doute d’attirer de jeunes exploitants.
L’agriculture française est percutée par un faisceau d’impératifs : être plus respectueuse de l’environnement tout en restant compétitive, s’adapter au changement climatique et, avant tout, recruter de quoi compenser les vagues massives de départs à la retraite qui s’annoncent.
1 Vite des jeunes !
« Le plus beau royaume après celui du ciel », dit le comédien Gérard Depardieu en évoquant le monde agricole de son enfance. Ce monde est en voie de disparition. Des vertes prairies de Normandie au plateau du Larzac, partout les cheveux grisonnent. L’agriculture française vieillit. Le nombre de ses agriculteurs est passé de 1,6 million au début des années 1980 à moins de 400 000 aujourd’hui, soit 1,5 % des actifs. Et la moitié vont prendre leur retraite d’ici à dix ans. Climat, environnement, nouveaux marchés… L’agriculture ne cesse de se réinventer. Mais elle doit aussi être plus compétitive et mieux comprise.
2 S’installer autrement
L’agriculture manque de bras mais, paradoxalement, pas de vocations. De nouvelles idées germent. On peut ainsi se former ou incuber une startup agricole sur le campus Hectar, financé par Xavier Niel en région parisienne.
Pour aider à accéder au foncier, Terre de Liens installe des agriculteurs en bio en leur louant des terres. Eloi, une start-up fondée par Maxime Pawlak et François Moret, fait de son côté le pari de « grappes » d’exploitations agroécologiques : la reprise d’une ferme se fait en associant plusieurs acheteurs complémentaires, accompagnés pour passer à l’agroécologie. 200 fermes sont en cours de transmission. L’objectif est d’arriver à 1 000 d’ici à cinq ans.
Ces nouveaux arrivants voient le travail autrement. « Ils veulent prendre des vacances, souffler le week-end. Il y aura demain plus de salariés et il faudra savoir les encadrer », observe Marcel Denieul, longtemps éleveur laitier et président du Space (salon international de l’élevage à Rennes). « Mais rien ne se fera sans l’adoption d’une grande loi foncière », analyse de son côté Olivier Allain, éleveur dans les Côtes-d’Armor.
3 S’adapter au changement climatique
Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, face à deux scénarios sur la table, l’un à + 2 °C, l’autre à +4 °C, veut dessiner la carte d’une agriculture bas carbone. « Parce que cela demande du temps de déployer des solutions, c’est maintenant qu’il faut le faire », explique Sébastien Abis, directeur du Club Déméter, think tank agroalimentaire.
En France, l’agriculture émet 19 % des gaz à effet de serre. On peut stocker du carbone dans les sols grâce aux prairies permanentes, développer l’agroforesterie. La terre n’est pas un simple support mais un écosystème. Sa richesse en bactéries et micro-organismes reste à découvrir.
Les engrais minéraux sont de gros émetteurs de dioxyde de carbone et de protoxyde d’azote. On pourrait limiter leur utilisation en s’appuyant sur la vie microbienne du sol. Un chercheur, Silvio Gianinazzi, estime que leur utilisation pourrait être réduite d’un tiers à un quart. Les agriculteurs défrichent par étapes une agriculture bas carbone.
4 Souveraineté
Notre assiette est bouleversée par des attentes parfois contradictoires. Le consommateur grapille un peu de local, un peu de bio, demande des prix bas pour contrer l’inflation. Pas simple pour les agriculteurs. On en oublierait presque la nécessité qu’ils puissent dégager un revenu tout en restant compétitifs. Car « on importe 29 % de notre viande, 60 % de nos fruits et 40 % de nos légumes », rappelle Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, syndicat majoritaire. L’agriculture française est fragile : près des deux tiers des légumes en conserve et surgelés consommés en France sont importés.