Dimanche Ouest France (Morbihan)
« Certaines maladies des femmes sont négligées »
André Ulmann, père de la pilule du lendemain, a créé il y a presque trente ans un laboratoire pour fabriquer ce contraceptif d’urgence dont les labos ne voulaient pas. Il lance aujourd’hui un stérilet indolore.
« Si on regarde l’évolution des produits pour les femmes, on constate qu’ils sont toujours en retard par rapport à ce qui est fait pour l’homme. On a mis dix ans pour mettre notre pilule du lendemain sur le marché japonais alors qu’il a fallu seulement six mois pour le Viagra ! » ironise André Ulmann.
Dans son bureau situé au coeur de Paris, le médecin qui a passé sa vie à se battre et à innover pour améliorer la santé des femmes revient sur son parcours de militant. Et de révolté. Sans son sens inné de la rébellion, il n’aurait probablement pas pu surmonter les obstacles qui se sont dressés devant lui tout au long de sa vie.
Son combat pour la pilule abortive, par exemple, le fameux « RU 486 » : il en a assuré le développement pour le laboratoire Roussel-Uclaf, contre une partie de sa hiérarchie. « Dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, tout ce qui touche à l’avortement est tabou, fait peur », révèle-t-il.
Hostilité des laboratoires
Au moment de demander l’autorisation de mise sur le marché de la pilule abortive, l’Agence de santé a souhaité des études supplémentaires. Encore un an à attendre avec le risque que les détracteurs de la pilule ne profitent de ce délai pour obtenir son retrait.
C’est alors qu’il a l’idée de proposer une « formation » à des médecins : ils allaient pouvoir délivrer le RU 486 à leurs patientes en échange d’informations sur son efficacité et sa sécurité. André Ulmann et son équipe récupèrent ainsi plus de 16 000 observations auprès de 700 gynécologues. Mais surtout, des femmes l’utilisaient : un retour en arrière aurait été impensable. La pilule abortive est autorisée en 1988.
Dix ans plus tard, la pilule du lendemain se heurte à son tour à l’hostilité des laboratoires. Cela faisait déjà longtemps que des gynécologues proposaient à des femmes ayant eu
un rapport non protégé, de prendre deux jours de suite trois comprimés de pilule contraceptive. « Cela provoquait des effets secondaires très importants, elles vomissaient énormément. Pourtant, les laboratoires pharmaceutiques refusaient de mettre au point un produit adapté », se souvient André Ulmann. C’est alors qu’il décide de créer son propre laboratoire pharmaceutique, HRS pharma, pour mettre sur le marché une pilule du lendemain mieux tolérée, baptisée NorLevo.
Or, si cette pilule affiche 95 % d’efficacité quand elle est prise dans les 24 heures, plus les heures passent, moins elle est efficace. Pour gagner du temps, il faudrait la délivrer sans prescription. Mais jamais un contraceptif contenant des hormones n’avait été disponible sans ordonnance. Nouveau combat et nouveau succès : malgré l’avis négatif des Académies de médecine et de pharmacie mais avec l’aval de la direction de la Santé, Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, signe l’autorisation de « délistage » du NorLevo : processus rendant un médicament accessible sans ordonnance. Elle sera étendue aux mineures en 2001.
Le nombre de naissances chez les mères de 15-19 ans qui s’élevait à 52 000 en 1980 passe à 20 000 en 2005.
Un nouveau médicament en préparation
Aujourd’hui, il estime que « les besoins de base des femmes, comme la contraception, sont couverts mais avec une vision d’il y a quarante ans ! Leur souhait de ne plus prendre d’hormones n’est pas pris en compte. Et certaines maladies sont négligées », regrette André Ulmann qui cite l’anémie provoquée par les règles abondantes, dont souffrent environ 30 % à 40 % des femmes.
« Nous sommes en train de développer un médicament qui n’est pas encore sur le marché mais qui va les aider à avoir des règles moins abondantes »,
poursuit-il.
Pour mener à bien ces recherches, il a créé un nouveau laboratoire en 2018, Cemag Care, composé d’une quinzaine de personnes, toutes des femmes, chercheuses et pharmaciennes. Parmi ses dernières innovations, le labo vient de lancer un stérilet logé dans un inserteur pour une pose indolore. « Les femmes sont réticentes à choisir des stérilets alors qu’on pense que c’est le meilleur moyen de contraception », poursuit-il. Pour celles ayant eu un échec à la suite d’une IVG médicamenteuse, environ 5 % des cas, et pour leur éviter une intervention chirurgicale, l’équipe commercialise des kits permettant de réaliser une aspiration utérine dans un cabinet gynécologique.
André Ulmann et son équipe ne s’arrêtent pas là. Ils travaillent à un test destiné aux femmes qui veulent savoir si elles ont ovulé et si elles peuvent, par conséquent, avoir des rapports sexuels sans risquer d’être enceinte. « Ils fonctionnent comme les tests de grossesse, il suffit de tremper des bâtonnets dans l’urine », précise-t-il. Simple comme bonjour.