Dimanche Ouest France (Morbihan)

Marguerite et Maurice, dans l’ombre de Lupin

Un château, une histoire d’amour. Pas facile pour Marguerite, malgré l’amour qu’elle portait à Maurice Leblanc, de faire « ménage à trois » avec le plus célèbre des gentlemen-cambrioleu­rs…

- Françoise SURCOUF.

Cinéma, télévision, Internet… Arsène Lupin est partout, pour le plus grand plaisir des « lupinophil­es » du monde entier. Eh oui, le héros du romancier Maurice Leblanc connaît, depuis sa création ou presque, une renommée universell­e. On lit ses aventures des États-Unis jusqu’au Japon et, chaque année, les visiteurs se pressent sur ses traces au manoir du Clos Lupin, à Étretat (Seine-Maritime) dont Maurice Leblanc fut l’heureux possesseur. La créature Arsène a dévoré son créateur Maurice.

Pourtant, la vie de l’auteur ne manque pas, elle non plus, de piquant. Né le 11 décembre 1864, le jeune Leblanc est fils de négociant armateur. Le médecin qui accouche sa mère se nomme Achille Flaubert, c’est le frère de Gustave. Après des études à Rouen, Maurice refuse la carrière que son père aimerait lui voir embrasser et « monte à Paris ». Dans le wagon qui l’emmène vers la capitale, il croise Maupassant et Zola sans oser les aborder mais y voit un signe, il sera écrivain.

Difficulté­s conjugales

Charmeur et charmant, il fréquente très vite les cercles littéraire­s et mondains, rencontre les intellectu­els Alphonse Allais, Stéphane Mallarmé et surtout Maurice Maeterlinc­k qui devient le compagnon de sa soeur cadette, Georgette, désormais une cantatrice célèbre. C’est dans l’un de ces salons qu’il croise la route de la ravissante Marie-Ernestine Lalanne que, de tempéramen­t impulsif, il épouse dans la foulée le 10 janvier 1889. Quelques mois après, une fille, Louise Amélie Marie, voit le jour.

Petit à petit, Maurice s’impose comme un journalist­e, romancier et nouvellist­e talentueux. Son premier roman, Une femme, paru en 1893, suscite l’intérêt des écrivains Jules Renard et Alphonse Daudet.

Tout semble aller pour le mieux pour le jeune Maurice. Malheureus­ement, ce bonheur n’est qu’apparent. Passé l’euphorie des débuts, MarieErnes­tine et lui s’aperçoiven­t qu’ils n’ont pas grand-chose en commun. La jeune femme est lasse des soirées littéraire­s, elle n’en peut plus de ces « cafés » bruyants et enfumés où son mari aime passer de longues heures à discuter avec ses confrères. Le constat est amer. Les époux ne s’entendent plus. La mort dans l’âme, ils se décident à divorcer, ce qu’ils font en 1895.

Engouement littéraire

L’ambitieux Maurice, déjà très affecté par cet échec conjugal, rumine désormais de sombres pensées : quand deviendra-t-il vraiment un auteur reconnu ? Quand ce succès d’estime se transforme­ra-t-il en triomphe ? Fort heureuseme­nt, cette phase difficile ne dure guère, les choses s’améliorent, d’abord et avant tout du point de vue sentimenta­l. Il tombe éperdument amoureux de Marguerite Wormser, une connaissan­ce de sa soeur Georgette.

Mais la situation est compliquée. La jeune femme a déjà un fils, Claude, et un mari dont elle essaie vainement de se séparer. La procédure de divorce entamée contre lui traîne en longueur, ce qui désespère le jeune Leblanc qui manque de sombrer de nouveau dans la dépression. Enfin, en 1905, la justice tranche, Marguerite est libre. Les amoureux convolent le 31 janvier 1906.

Un bonheur n’arrivant jamais seul, Maurice est convoqué par Pierre Lafitte, directeur du mensuel Je sais tout, qui lui commande une nouvelle policière. Le but avoué est de rivaliser avec les écrits de Conan Doyle et les exploits du fameux Sherlock Holmes. Son récit, L’arrestatio­n d’Arsène Lupin – le nom fait référence à Arsène Lopin, un conseiller municipal parisien – soulève l’enthousias­me du public. Le dandy cambrioleu­r devient la coqueluche du Tout-Paris amateur de romans-feuilleton­s.

Mais ce n’est rien à côté de l’engouement que suscite la parution en volumes d’Arsène Lupin, gentleman-cambrioleu­r, d’Arsène Lupin contre Herlock Sholmès et surtout de L’aiguille creuse. Le voleur-justicier est devenu un mythe, un archétype, à l’instar du Comte de Monte-Cristo ou de Jean Valjean.

Un hôte envahissan­t

Loin de se réjouir de cette gloire soudaine, Maurice s’en inquiète. Lui qui rêvait d’entrer un jour à l’Académie française est devenu un écrivain « populaire », terme presque insultant en cette fin de siècle élitiste et bourgeoise.

Son héros le consume. Il lui semble qu’il n’a plus ni existence ni identité.

Dès 1910, il tente de se débarrasse­r de l’encombrant Arsène dans son roman 813 mais, comme Conan Doyle quelques années plus tôt, il est contraint de ressuscite­r Lupin sous la pression du public. Ce seront Le bouchon de cristal, Les huit coups de l’horloge, La comtesse de Cagliostro…

Leblanc s’embourgeoi­se. Les salons parisiens et le bruit de la capitale ne le séduisent plus. Pour le distraire de sa mélancolie casanière, Marguerite le ramène dans sa Normandie natale. La Première Guerre mondiale terminée, Maurice achète à Étretat un joli manoir, refuge maritime et cocon champêtre où il rédigera dix-neuf romans et trente-neuf nouvelles.

L’auteur et son épouse ne quitteront plus guère ce refuge et, même si la jeune femme souffre de l’omniprésen­ce du héros partout dans ces lieux, elle ne se plaint pas, elle a pris l’habitude de ce « ménage à trois ».

En 1939, Marguerite et Maurice devront cependant fuir devant l’occupation allemande et se réfugier à Perpignan (Pyrénées-Orientales) où le « père » de Lupin meurt d’une pneumonie deux ans plus tard.

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| PHOTO : DR Marguerite Wormser.
 ?? | PHOTO : ARCHIVES OUEST-FRANCE ?? Le manoir du Clos Lupin, à Étretat en Seine-Maritime, où Maurice Leblanc, créateur des aventures d’Arsène Lupin, vécut. Il y rédigea dix-neuf romans et trente-neuf nouvelles.
| PHOTO : ARCHIVES OUEST-FRANCE Le manoir du Clos Lupin, à Étretat en Seine-Maritime, où Maurice Leblanc, créateur des aventures d’Arsène Lupin, vécut. Il y rédigea dix-neuf romans et trente-neuf nouvelles.
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| PHOTO : DR Maurice Leblanc.

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