Dimanche Ouest France (Morbihan)
Gorillaz étend encore plus son territoire
Pour son huitième album, le groupe virtuel emmené par Damon Albarn s’aventure sur des terres inédites, avec un bonheur inégal.
Quoi de mieux qu’un groupe virtuel pour faire tout ce qu’on ne ferait pas forcément sous son apparence réelle ? Le Damon Albarn de Blur, des collaborations avec des musiciens traditionnels, du supergroupe The Good, the Bad and the Queen ou de l’artiste solo à la belle mélancolie n’est pas celui d’un Gorillaz. Le groupe de toons aux personnages mis en scène par le dessinateur et complice Jamie Hewlett fête un anniversaire record de vingt-cinq ans.
Cracker Island ne déroge pas à quelques principes bien établis. Une belle palette d’invités pour s’associer au timbre languissant du patron Damon Albarn, un éclectisme musical certain et quelques éléments de critique sociale.
De l’allant et du ralenti
Ici, le (non) concept du disque, mêle distraitement île utopique, désenchantement et singes énervés, influenceurs fatigués et folie numérique, et n’exprime clairement qu’un petit message : « Les actions individuelles peuvent changer le monde. »
S’il y a un peu moins d’invités que dans l’album précédent (Song Machine : Season One de 2020), cela s’explique surtout par l’inhabituelle brièveté de l’album (dix titres seulement). La présence de Stevie Nicks, ex-sirène du légendaire groupe soft rock Fleetwood Mac, peut surprendre (c’est un peu le but), mais son chant marqué par l’âge fonctionne parfaitement sur l’excellent Oil, morceau électro rock qui affiche ce paradoxal mélange d’allant et d’impression de ralenti, typique des titres les plus marquants de Gorillaz.
Parmi les fusions dont la formule est magique, le morceau titre Cracker Island (avec Thundercat habitué des collaborations jazz et hip-hop), à la fois très dancefloor et incisif, déjà familier car sorti en single dès juillet, reste un des sommets de l’album.
Tout comme la touchante ballade électronique Baby Queen (qu’on aurait pu entendre sur le disque solo de Damon). New Gold, alliance du groupe psyché Tame Impala (ou tout au moins de la voix éthérée de son chanteur Kevin Parker) et du rappeur Bootie Brown (The Pharcyde) sur un rythme bien roulant, est également une réussite. On s’interroge plus sérieusement sur un Tormenta, entièrement chanté par le rappeur portoricain Bad Bunny, clairement anachronique, ou sur un Silent Running en forme de rythm and blues lisse, alors qu’un Skinny Ape se révèle aussi addictif qu’agaçant.
On peut regretter un manque de cohérence musicale croissant, et assumé, chez Gorillaz, mais on ne peut que saluer une créativité toujours si féconde.
Cracker Island, Warner, 10 titres, 37 minutes.