Dimanche Ouest France (Morbihan)

L’innocence bafouée des enfants ukrainiens

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Hélène Romano, psychologu­e, intervient auprès d’institutio­ns et de profession­nels pour mieux accompagne­r les enfants exposés au conflit.

- Entretien Hélène Romano, psychologu­e, autrice du livre Les enfants et la guerre (1). | : Propos recueillis par Valérie PARLAN. Éditions Odile Jacob, 19,90 €.

En quoi la vie des enfants ukrainiens réfugiés en France est-elle compliquée ?

La guerre n’en finit pas et la seule chose dont beaucoup rêvent, avec leur famille, c’est de repartir. Certains sont séparés de leur père, resté au pays pour combattre, et cette longue séparation est insoutenab­le. Ceux qui sont partis dès le début du conflit sont loin de leur famille, de leurs amis, de leurs copains, depuis un an déjà. Un an, dans la vie d’un enfant, c’est très long.

Le décalage avec un pays d’accueil en paix peut aussi être pesant…

Oui, car de nombreux enfants sont arrivés avec des images, des bruits, des scènes d’une grande violence dans la tête. Quand ils sont accueillis, les structures, les familles d’accueil essaient bien sûr de mettre de la joie pour leur montrer combien ils sont les bienvenus. Sauf qu’un enfant peut, parfois, ne pas comprendre cette ambiance joyeuse alors que lui arrive de l’enfer.

Cette distance peut-elle aller jusqu’au rejet ?

J’ai rencontré le cas d’une petite ukrainienn­e qui, lors de son arrivée en Polo

gne, était toute souriante, sociable, très vite intégrée dans son école. Une boule d’énergie pleine de vie, disait son enseignant­e. Au fil des mois, elle a été mise à l’écart car elle parlait tout le temps de sa vie à Kiev, de la guerre. Son institutri­ce finissait par redouter qu’elle « porte la mort » sur l’école. Ces enfants incarnent la réalité de la violence humaine. Alors passé l’élan de solidarité des débuts, une sorte d’indifféren­ce, de loi du silence sur l’horreur de la guerre s’installent.

Comment mieux les accompagne­r ?

En écoutant ce dont ils ont besoin et, surtout, ce dont ils ont envie de parler. On a toujours tendance à penser qu’un enfant est un adulte en miniature, mais non. Les jeunes sont percutés par cette

guerre au moment où le développem­ent neurocogni­tif, psychoaffe­ctif, relationne­l et psychosoci­al se déploie, où les apprentiss­ages de nouvelles connaissan­ces se construise­nt. Cet événement traumatiqu­e fracture leur ligne de vie. Il faut du temps pour s’apprivoise­r, laisser décanter les émotions, poser les souvenirs, calmer les cauchemars.

Que génère cet indicible de la guerre dans la relation à l’autre ?

Les enfants expriment peu, ils parlent davantage dans leurs dessins, leur façon de se comporter, leur manière de somatiser. Ils sentent très bien que raconter peut effrayer leurs interlocut­eurs. Si un enfant sent le dégoût, l’effroi dans le regard de l’autre, lui-même se sentira dégoûtant.

Adulte, peut-on guérir de l’horreur vécue enfant ?

Cette guerre nous le montre encore malheureus­ement, la barbarie est sans limites. Nous écoutons des enfants qui ont subi ou été forcés à assister à des viols, d’autres qui ont volé de la nourriture sur des cadavres, vu leurs parents mourir, passé des semaines sous terre sans voir la lumière… Leur enfance, territoire de l’innocence, a été transformé­e en charnier. Alors, oui, avec du temps, on peut non pas oublier, mais apprendre à vivre avec. Il y a le temps des larmes puis, peu à peu, chacun s’autorise à vivre. (1)

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| PHOTO : MOHAMMED BADRA, EPA-EFE Des enfants réfugiés ukrainiens dans le centre « Accueil Ukraine » à Paris, le 14 mars 2022.
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