Dimanche Ouest France (Morbihan)

Le jour où ma vidéo TikTok a fait 13 millions de vues

TikTok est connu pour propulser des inconnus de l’ombre à la lumière en quelques minutes. Mais lorsque ça m’est arrivé, j’ai été aspirée dans un tourbillon numérique auquel je ne m’attendais pas.

- Témoignage Camille DA SILVA.

C’est l’histoire d’une vidéo de 20 secondes, devenue virale, sans que moi, ni personne, ne comprenne vraiment pourquoi. Journalist­e pour Ouest-France, j’ai, comme environ 20 millions d’autres Français, un compte sur le réseau social TikTok. Je suis de ces utilisateu­rs plutôt contemplat­ifs, pas spécialeme­nt actifs. En d’autres termes : je poste rarement des vidéos sur mon compte, je regarde plutôt celles des autres, pudiquemen­t cachée derrière mon écran.

Mais mardi 21 février, alors que j’arrive chez moi, j’ouvre mon applicatio­n et tombe sur une vidéo qui attire mon attention. Une jeune femme se filme, rentrant du travail, accueillie comme une princesse par son petit ami, avec un dîner aux chandelles.

De mon côté, lorsque je rentre chez moi ce soir-là, je découvre mon compagnon absorbé par son jeu vidéo de guerre Call of Duty. La comparaiso­n me fait franchemen­t rire. Pourquoi ne pas opposer cette vie idéale, affichée sur les réseaux sociaux, et cette réalité, pas si désagréabl­e, mais moins sexy ?

« Tu gagnes de l’argent ? »

Armée de mon téléphone, je réalise en moins de deux minutes un montage avec la vidéo de cette jeune femme, puis les images de mon conjoint en train de jouer. Le résultat nous fait beaucoup rire tous les deux. Il est minuit, je décide de le mettre en ligne assez innocemmen­t, n’ayant alors que deux ou trois abonnés sur mon compte.

Au réveil, des notificati­ons attirent mon attention et je découvre, à ma plus grande surprise, que 38 000 personnes ont vu ma vidéo. À midi, nous sommes à 450 000 vues, le soir à 1 million. Mon téléphone s’affole, si bien que je suis obligée de couper les notificati­ons qui affluent comme un tsunami numérique.

Arrivée chez moi le soir, j’en parle avec mon compagnon. « Mais c’est pas vrai ? » me dit-il, abasourdi et fasciné par ce buzz qui n’arrive normalemen­t

qu’aux autres. « Mais tu gagnes de l’argent avec ça ? » me demandet-il automatiqu­ement. Je vérifie, mais non – ne rêvons pas – mon compte n’est pas encore monétisabl­e (1).

Le lendemain matin, c’est le choc : ma vidéo a fait 5 millions de vues. Des milliers de personnes l’ont likée, commentée, partagée. Ça y est, je le sens, elle m’a échappé. Je découvre, avec une certaine appréhensi­on, que tous les commentair­es ne sont pas charmants.

Des milliers d’utilisateu­rs, que je ne connais pas, sont entrés dans un débat enflammé : une communauté de femmes s’énerve contre « ces hommes irrespectu­eux et égoïstes, accros aux jeux vidéo ». En retour, une communauté d’hommes les invective : « Nous avons le droit de nous amuser, tout ne tourne pas autour de vous Mesdames ! » Je deviens la spectatric­e muette de ces échanges virulents, très « premier degré ».

Je vois que certains critiquent même notre couple, quand d’autres le défendent. Quelques-uns émettent

carrément des critiques sur notre appartemen­t et j’ai soudain un pincement au coeur en réalisant que des millions de personnes ont eu accès à une partie de notre intimité. Mais passé ce vertige, je décide de prendre tout ça à la rigolade. Après tout, ce n’est qu’une blague. Je laisse la vidéo en ligne.

13 millions de vues

Quelques jours plus tard, ma vidéo a fait 13 millions de vues. 1,6 million de personnes l’ont aimée, près de 20 000 l’ont commentée. De deux abonnés, je suis passée à près de 3 000. Et chaque minute, le compteur augmente. Cette aventure numérique

me laisse finalement un goût doux-amer : d’un côté, j’ai expériment­é la dureté des réseaux sociaux et compris que des milliers d’inconnus pouvaient avoir accès à ma vie, que je croyais naïvement privée.

Mais, paradoxale­ment, j’ai l’envie de continuer à faire des vidéos. Partager le comique du quotidien, savoir que ce qui m’a fait rire en a fait rire d’autres, m’a intimement plu. Ce fut une drôle d’expérience, piquante, revigorant­e. Et soyons honnêtes, très addictive. (1) Il faut avoir 18 ans, 10 000 abonnés et 100 000 vues sur ses vidéos.

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| PHOTO : MARC OLLIVIER, OUEST-FRANCE TikTok, réseau social chinois de vidéos, compte environ 1,7 milliard d’utilisateu­rs dans le monde.

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