Dimanche Ouest France (Morbihan)
Vétéran des essais nucléaires, il témoigne
Jean-Claude Pénéché a effectué son service militaire en Polynésie de 1967 à 1968. Pendant ses treize mois, cinq essais nucléaires ont eu lieu. Il n’a appris l’existence de leur dangerosité qu’en 2014.
Dans sa maison de Jard-sur-Mer, en Vendée, Jean-Claude Pénéché a préparé une pile de documents. Il se saisit d’un des dossiers, l’ouvre et présente des fichiers confidentiels de l’époque. « Quand je suis parti de la Polynésie en 1968, j’ai piqué ces documents, je pensais qu’ils me revenaient de droits. Je voulais garder des souvenirs. » Dans cette pochette, une feuille jaunie par le temps. Avec ces instructions : « À Mururoa : ne pas se baigner d’une plage mais des pontons désignés pour cet effet. Les fils barbelés marquent les zones contaminées. Dans l’eau, ne pas toucher le fond qui est contaminé. Ne ramassez ni coquillage, ni pierre, ni poisson .»
Avec le recul, Jean-Claude Pénéché, 74 ans, porte un regard différent sur ces notes : « Le nucléaire ? À l’époque, je ne savais pas ce que c’était. Je savais qu’il y avait des explosions, mais rien de plus. C’était juste des bombes pour moi. »
« Je ne connaissais même pas Tahiti »
Son aventure, il s’en souvient. Elle commence le 2 août 1967, lorsqu’il rejoint la caserne de Brest pour son service militaire. Pour lui, ce sera la Marine. « J’étais électricien depuis mes 14 ans et la Marine cherchait des gens de tous les corps de métiers, puisqu’un bateau, c’est une petite ville. » Son souhait ? Partir en Corse pour son service, histoire de « voir du pays, de voyager ». Ce sera finalement la Polynésie et le Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) : « Treize mois. Pour moi c’était trop loin, trop long. »
Le CEP, il n’en a jamais entendu parler. La Polynésie, il n’en connaît rien. « À l’époque, on n’avait ni portable, ni Internet. Je ne connaissais même pas Tahiti. »
En septembre 1967, il s’installe dans un avion DC 8 Contam, direction Tahiti. Le 30 septembre, il pose le pied sur l’île. « Je reçois mon affectation, ce sera la Dives, un bateau qui
livre du matériel et de la nourriture sur les îles des archipels du Centre d’expérimentation. »
Pendant huit mois, il alterne les réparations et les tâches quotidiennes, il en garde un souvenir amer : « Ce bateau était à fond plat ; on l’appelait la grande balançoire, parce que ça ne tanguait pas, ça claquait. Le quotidien était dur et les officiers n’étaient pas vraiment tendres. »
Le 20 mai 1968, il reçoit une nouvelle affectation, le Verdon, un pétrolier. C’est sur ce bâtiment qu’il restera jusqu’à la fin de son service en Polynésie, le 10 octobre. Pendant cette période, il vit de loin cinq essais nucléaires. « Je n’ai jamais vu d’explosion. On venait soit avant, soit après. On restait dans le secteur
des explosions, notamment vers l’atoll de Mururoa, mais pour ravitailler seulement. »
Capella, Castor, Pollux, Canopus et Procyon… Ce sont les noms de codes des essais nucléaires atmosphériques qui ont eu lieu dans sa zone pendant sa durée de service. Pour Jean-Claude Pénéché, à l’époque, aucun risque : « On était en short, pieds nus sur le bateau. Une fois, un expert est venu avec des compteurs Geiger (des générateurs électriques portatifs), on devait surveiller le bâtiment. Ça craquait partout, le compteur s’affolait, et nous, on rigolait comme des gamins. On jouait à celui qui le faisait monter le plus haut. »
Cette insouciance, il ne la comprend que quarante-six ans plus tard, en 2014. « Je suis tombé sur des articles sur l’Association des vétérans des essais nucléaires (Aven) . Ces hommes témoignaient des particules toxiques, des nuages nucléaires, des cas de cancers qui explosaient, des secrets de l’armée… »
« La voix des milliers de morts »
Il prend une respiration, réfléchit et lâche : « L’armée est la grande menteuse, je lui en veux tellement. Ils nous ont tout cachés, ils ont envoyé des jeunes ignorants au casse-pipe pour leurs bombes. »
Comment expliquer ces quarantesix ans d’errance ? Pourquoi JeanClaude n’a-t-il pas su plus tôt les dangers de ces essais ? Il s’explique : « Quand je suis rentré de ce service, j’ai mis tout ça de côté. J’avais envie d’avancer dans la vie, d’avoir un boulot stable, de me marier. Et j’ai enfoui cette période militaire dans un coin de ma tête. »
Après trente-deux ans de carrière dans la gendarmerie, il prend sa retraite. Depuis trois ans, il est le porte-drapeau de l’Aven en Vendée, avec la ferme volonté de « découvrir et dénoncer tout ce que l’armée nous a caché ». Jean-Claude referme ses dossiers et termine : « Dans mon témoignage résonne la voix des milliers de morts de ces essais. »
Contact de l’association des vétérans des essais nucléaires : 04 78 36 65 31.