Dimanche Ouest France (Morbihan)

Heurs et malheurs de la vie de bureau

Romans. Deux livres, La poésie des marchés et Il suffit de traverser la rue, portent un regard à la fois drôle et désespéré sur le travail en entreprise, ses mutations et ses travers.

- Florence PITARD.

Les cours du pétrole montent, descendent, s’envolent… Lucie les analyse pour le compte de Vega Énergie. Un job auquel elle peine à trouver du sens. Heureuseme­nt, un « appel à projets innovants » est lancé dans la tour de verre et d’acier afin d’améliorer le fonctionne­ment de l’entreprise.

Avec deux collègues, Lucie s’attaque au fléau des open-space : le bruit. Leur projet consiste à faire diffuser par des enceintes géantes un bruit de fond, afin de masquer le brouhaha encore plus perturbant des conversati­ons. Une idée à laquelle vient se greffer l’hébergemen­t, dans une salle de réunion, d’un SDF artiste, bientôt rejoint par un lézard géant…

Dans La poésie des marchés, premier roman très réussi et pétillant, Anne-Laure Delaye fait souffler un vent de folie sur une vie de bureau pas folichonne, qu’elle éreinte gentiment. Analyste de marchés dans la vie, cette Centralien­ne est la preuve vivante que l’on peut être à la fois cartésienn­e et douée pour la poésie.

L’entreprise et les cost-killers

Éric Faye, lui, livre aussi un portrait de la vie au travail, mais sur un mode plus grinçant et désespéré, quoique très drôle. Il suffit de traverser la rue, fait référence à la phrase lancée par Emmanuel Macron à un horticulte­ur en mal d’emploi. Le narrateur est journalist­e (Éric Faye le fut aussi). Il officie chez MondoNews, une agence de presse qui a eu le malheur d’être rachetée par un groupe suédois et

cotée en Bourse. En attendant sa propre mise à mort, le héros assiste aux soubresaut­s de l’entreprise qui part à la découpe sous les assauts des costkiller­s : le service Paie est externalis­é en Slovaquie, la rédaction démantelée et certains services délocalisé­s en Roumanie, tandis que se profile un plan social qui annonce l’épreuve ulti

me et surréalist­e de la cellule de reclasseme­nt.

Avec son sens aigu de l’observatio­n, Éric Faye est aussi doué pour dépeindre les effets du capitalism­e débridé que les faibles capacités de ses condiscipl­es à se mobiliser. Il alterne moments de réflexion et hilarants morceaux de bravoure, comme lorsque son héros appelle en pleine nuit le service d’assistance informatiq­ue, situé en Inde…

La poésie des marchés, Albin Michel, 272 p. 19,90 €.

Il suffit de traverser la rue, Seuil, 273 p., 19,50 €.

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Anne Laure Delaye et Éric Faye portent un regard caustique sur le monde du travail.
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| PHOTO : ASTRID DI CROLLALANZ­A

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