Dimanche Ouest France (Morbihan)
Sam Mendes passe de James Bond à l’intime
Cinéma. Avec le magnifique Empire of Light, le réalisateur anglais parle d’amour, de racisme, de 7e art et surtout d’une femme fragile mentalement… Comme sa mère.
À rencontrer Sam Mendes, dans une chambre d’un palace parisien, on a le sentiment de mettre en lumière un inconnu célèbre.
Pour le grand public, son nom n’éclate pas comme celui d’une star du cinéma. Pourtant, en 1999, dès son premier film, American Beauty, il décroche cinq Oscars dont ceux du meilleur film et de la meilleure réalisation.
La suite est aussi forte : Les sentiers de la perdition avec Tom Hanks ; Les noces rebelles avec Kate Winslet, qui sera son épouse pendant sept ans ; Skyfall, le James Bond le plus sombre et sans nul doute le meilleur ; 1917, plongée vertigineuse dans la Première Guerre mondiale. Mais, à chaque fois, au fil de ses huit longs-métrages, on en oublie presque son nom tant il se met au service du film.
« Elle devait jouer Hilary »
Pour le neuvième qui vient de sortir, Empire of Light, quelque chose a changé. À 57 ans, l’homme a plus de sel que de poivre dans sa barbe et ses cheveux mais, surtout, il accepte, cette fois, de parler de cette part intime mise dans son film : la fragilité mentale de sa mère.
Cette dépression tenace et toxique que l’on retrouve dans le personnage de Hilary. Une femme qui ne semble survivre que grâce à son travail de gérante d’un cinéma et à ses collègues, quand ils ne tentent pas d’abuser d’elle.
Un rôle à qui Olivia Colman (The Crown, The Father, la série Broadchurch) donne une puissance bouleversante. « On ne peut pas ne pas l’aimer, tranche le cinéaste anglais.
Elle fait partie de ces acteurs qui n’ont pas connu le succès avant leurs 30 ans. Ils sont conscients de leur chance et ils expriment à tout le monde leur gratitude et leur générosité. Tom Hanks est aussi comme ça. »
Ce film, il l’a écrit pendant le confinement, tout seul, contrairement à son habitude. Dès le début pour Olivia Colman ? « À la moitié de l’écriture,
j’ai regardé la télévision et elle jouait dans The Crown. C’était évident, elle devait incarner Hilary. Si elle avait dit non, j’aurais été vraiment contrarié. Peut-être que je n’aurais même pas fait ce film. Il fallait une star qui ne ressemble pas à une star. »
Au final, Empire of Light parle de beaucoup de choses. D’amour, de la force du cinéma, du racisme…
Le film raconte aussi une période, les années 1980 de la jeunesse de Sam Mendes, celles où la GrandeBretagne
était dirigée par Margaret Thatcher. « C’était une époque de racisme, de chômage, d’émeutes dans les rues, mais en même temps d’une grande créativité et de diversité dans la musique et le cinéma. »
Mais revenons au coeur du sujet : comment la mère du cinéaste a inspiré le personnage de Hilary ? « Si vous regardez mes autres films, American Beauty, Revolution Road (Les noces rebelles) ou même Skyfall avec le personnage joué par Judi Dench, j’ai toujours trouvé le moyen d’inclure des histoires de mère. Parfois consciemment, parfois inconsciemment. »
Y compris quand le personnage du directeur du cinéma, joué par Colin Firth, abuse de la fragilité de Hilary ? « Ma mère a toujours été piégée par des hommes manipulateurs qui profitaient de son silence et de sa perte de confiance sous médicaments. Ces agresseurs l’ont détruite mais le cycle reprenait. Elle retrouvait un boulot, tombait amoureuse de son chef horrible et elle explosait. Dans le film, au départ, elle n’est pas complètement manipulée. Elle a été flattée qu’il la trouve attirante. Mais comme le dit Colin Firth, cet homme est étranger au langage du consentement. Ce type de personnages existe toujours mais il y en avait encore plus à l’époque. »
« Les enfants savent tout »
Avait-il conscience de tout cela, enfant ? « Les enfants sentent les choses. Ils ne savent pas quoi exactement mais ils savent tout. Quand j’en ai vraiment pris conscience, vers 9 ans, c’est devenu un énorme problème. Ma mère a fait une grosse dépression et j’ai dû aller chez mon père. »
« Le problème, poursuit Sam Mendes, est que vous perdez la confiance. Vous vous demandez si cela va arriver de nouveau donc vous prenez de la distance. Vous devenez un observateur. »
Le cinéma lui servait-il d’échappatoire ? « Oui. Parfois, cela permet de vous dire qu’il y a pire que votre vie. Comme Rencontres du troisième type. On l’a oublié mais ça parle d’un gars qui perd la tête devant ses enfants. »
Et la lumière du titre, Empire of Light ? « La lumière apporte la vie. Leonard Cohen dit : « Il y a une fissure dans tout et c’est par là que la lumière entre. » C’est par les défauts qu’on évolue. Le film parle de ça. »