Dimanche Ouest France (Morbihan)
Noël Le Graët, de l’ascension à la démission
Durant un demi-siècle, Noël Le Graët (81 ans) a été un personnage incontournable du foot français. L’ex-président de la Fédération a aussi été un chef d’entreprises avisé et le maire de Guingamp.
Noël Le Graët, c’est l’histoire d’un enfant de Bourbriac (Côtes-d’Armor), juste à côté de Guingamp. Il naît le 25 décembre 1941, dans une famille modeste. Son père est chauffeur routier, sa mère travaille dans l’agriculture. De son enfance heureuse et de sa condition, il en fera une force et y puisera une grande détermination.
Footballeur moyen, capitaine dans l’âme, entrepreneur hors pair, Noël Le Graët ne rêve pas alors d’un destin national. Un temps instituteur dans le Calvados après l’obtention de son baccalauréat avant de devenir, à la majorité, fonctionnaire des impôts à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), il devient ensuite VRP multicartes, concessionnaire en électroménager. Avant, en 1984, de créer sa société dans l’agroalimentaire.
« On se déplaçait parfois en avion »
À Guingamp, il n’est plus un inconnu depuis longtemps. Notamment depuis 1973, alors que jeune président (31 ans) d’En Avant, il voit son club évoluant en DSR aller jusqu’en 8es de finale de la Coupe de France, après avoir éliminé trois clubs de Division 2 (Brest, Lorient et Le Mans), ne tombant que face à Rouen (0-5 puis 0-3). L’épopée d’En Avant Guingamp est en marche. Celle de Noël Le Graët aussi. Un jeune dirigeant qui ne manque pas d’idées, qui ne se laisse marcher sur les pieds par personne. Et qui cultive l’amitié.
« Le Président Le Graët avait cette faculté à aller prendre des joueurs dans le coin : Michel Trémel à Cavan, Guy Stephan et moi à Perros-Guirec », s’est souvenu Sylvestre Salvi, son jeune entraîneur-capitaine (22 ans) de l’époque, il y a quelques années. Avec eux, Yvon Schmitt, Michel André, Jean-Yves et Hervé Le Coz et quelques autres, déjà présents lors de l’épopée Gambardella de 1970 (élimination en quarts de finale face à Saint-Étienne), En Avant Guingamp va brûler les étapes pour rejoindre la D2 en 1977. Cinq ans plus tard, le club adoptera le statut professionnel.
« Mais déjà en D3, Monsieur Le Graët faisait tout pour mettre les joueurs dans les meilleures conditions. On se déplaçait parfois en avion et on dormait dans de bons hôtels »,
racontait Guy Stephan en avril 2018. L’adjoint de Didier Deschamps, originaire de Ploumilliau, était arrivé sous statut promotionnel et poursuivait des études d’EPS au Creps de Dinard.
« Le samedi matin j’avais cours, et vers midi, j’arrivais à Guingamp et je déjeunais chez lui. J’y faisais la sieste avant d’aller, à 17 h 30, à la collation au relais du Roy. »
Parallèlement à l’ascension sportive du club d’une commune de 8 507 habitants (en 1982), sa société Le Graët (agroalimentaire) prospère
et se diversifie dans le commerce du poisson et des fruits de mer. En 2015, il en confie la direction à ses trois filles. En 2019, elle employait 800 salariés, chiffre d’affaires proche de 200 millions d’euros.
« Soupe au lait mais pas rancunier »
Mais c’est par le ballon rond, d’abord, que sa notoriété dépasse les frontières de la Bretagne. Candidat à la présidence de la Ligue nationale de football (aujourd’hui LFP) en 1991, il est élu à l’unanimité après une campagne de quatre mois, menée dans la discrétion, et loin de la capitale. Il a 49 ans. Le football professionnel va vite apprendre à connaître ce Breton, qui n’a peur de rien, ni de personne. Et qui se révèle fin stratège.
Deux jours après son élection, le Brest Armorique dépose son bilan. « Inéluctable, un cas indéfendable », justifie-t-il. Le portrait qu’Ouest France dresse de lui le jour de l’élection le qualifie de « soupe au lait mais pas rancunier ». Il veut assainir financièrement le football pro et n’est pas là pour faire des cadeaux aux mauvais payeurs. Il sera victime d’une coalition des clubs les plus puissants de l’Hexagone en 2020.
Entre-temps, En Avant Guingamp, désormais présidé par un proche, Bertrand Salomon (1991), grimpe
pour la première fois au sein de l’élite en 1995. C’est un bon millésime puisqu’en juin de la même année, Noël Le Graët accède à la mairie de Guingamp, sous l’étiquette divers gauche. Il sera réélu en 2002, année où il retrouve aussi la présidence d’En Avant. Un bail marqué surtout par un succès historique en Coupe de France face au Stade Rennais (2-1), le 9 mai 2009. Il quitte la présidence sur une remontée en Ligue 2 (2011) et passe la main à Bertrand Desplat, son gendre.
C’est en qualité de vice-président de la Fédération française, en charge des finances depuis 2005, qu’il assiste depuis la France au désastre de Knysna (grève de l’entraînement par l’équipe de France) lors du Mondial 2010 en Afrique du Sud.
La fidélité à Didier Deschamps
Le 18 juin 2011, il succède à Fernand Duchaussoy, président par intérim, à la tête de la FFF. Il sera réélu trois fois (2012, 2017 et 2021) . Rassembleur et travailleur, il contribue à consolider la solidité financière de l’institution, à développer le nombre des licences (2,13 millions en 2021-222), notamment chez les féminines (201 726). Noël Le Graët a surtout redoré l’image des Bleus.
Après l’intermède Laurent Blanc, il
opte pour Didier Descamps comme sélectionneur national (juillet 2012). Les Bleus s’installent durablement parmi les nations fortes : finale de l’Euro 2016 face au Portugal (0-1), victoire lors de la Coupe du monde 2018 face à la Croatie (4-2), finale de celle de 2022 (défaite aux tirs au but face à l’Argentine, 3-3), victoire lors de la Ligue des nations 2021.
À l’image de son maillot, le ciel est bleu pour le football français. Mais depuis plusieurs mois, il s’est assombri pour son président, en raison notamment de déclarations maladroites, sur le racisme, qui n’existe « pas ou peu » dans le football (2020), sur l’équipe de France féminine (« Aucun match perdu. Donc, elles peuvent se tirer les cheveux, ça m’est égal », 2021), ou sur le futur de Zinedine Zidane (« Je n’en ai rien à secouer, il peut aller où il veut »,
2023).
Sous le coup d’un audit, diligenté par Amélie Oudéa-Castera, il a été mis en retrait par la FFF le 11 janvier dernier. Mis en cause par les conclusions de l’audit ministériel sur les dysfonctionnements à la FFF, ciblé par une enquête judiciaire pour harcèlement moral et sexuel, il démissionne de la présidence de la 3F le 28 février mais continuera à diriger le bureau parisien de la Fifa, la fédération internationale de football.