Dimanche Ouest France (Morbihan)

Au Japon, le blues des pêcheuses d’huîtres

Les ama plongent en apnée pour ramasser algues, coquillage­s et crustacés depuis des siècles. Mais le réchauffem­ent de l’océan leur fait craindre de voir leur métier disparaîtr­e.

- Johann FLEURI.

« J’ai eu la chance de naître face à l’océan Pacifique, explique Machiyo Yamashita, plongeuse ama de 73 ans. J’ai eu une vie sans stress, avec la liberté de nager, de vivre des produits de la mer que je trouvais au fond de l’eau. »

Pêcheuse sous-marine en apnée pendant plus de quarante ans, cette Japonaise se souvient d’une époque où le froid de l’océan était mordant en hiver. « C’était difficile d’entrer dans l’eau. Ça ne l’est plus aujourd’hui. »

Quelle que soit la saison, elle et ses consoeurs plongeaien­t inlassable­ment pour remonter les fruits les plus précieux, particuliè­rement les awabi,

sorte d’ormeau, coquillage particuliè­rement recherché par la gastronomi­e japonaise, ou encore des huîtres perlières.

De moins en moins de fruits de mer

Ces femmes constatent désormais les conséquenc­es du réchauffem­ent. Elles racontent la baisse drastique des quantités et variétés d’algues, de coquillage­s ou de crustacés qu’elles trouvent. Autrefois, « nous pouvions ramasser jusqu’à 200 awabi par jour. Aujourd’hui, il n’y en a pas tous

les jours », précise Machiyo Yamashita, dont la bonne humeur se teinte de mélancolie.

Dans la baie d’Ago où vit la plus grande communauté d’ama du Japon, elles sont 500 alors qu’elles étaient 6 000 autrefois. L’océan se réchauffe de plus en plus vite. « Nous avons enregistré une hausse de + 1,1 °C sur les cent dernières années, avec une accélérati­on récente », explique Hideo Aoki, expert en sciences de la pêche et manager de l’institut de recherches des pêcheries de Mie. Takashi Atsumi, chercheur dans le même institut, ajoute que la situation est « dévastatri­ce pour la culture de la perle. En 2019, 70 % des naissains d’huîtres

de moins d’un an ont péri et nous observons toujours une surmortali­té depuis. »

70 ans de moyenne d’âge

Les ama sont souvent associées à la culture d’huîtres perlières mise au point à Mie, à la fin du XIXe siècle par Mikimoto Kōkichi. En réalité, elles plongent surtout à la recherche d’aliments pour leur consommati­on ou la vente. Néanmoins, au doigt de Machiyo Yamashita, brille une bague surmontée d’une grosse perle : « Celle-ci, je l’ai trouvée moi-même au fond de l’eau », montre-t-elle fièrement.

À 39 ans, Kaori Arai, originaire d’Osaka et ama depuis dix ans, assure avoir toujours été fascinée par la vie de ces plongeuses mythiques. Lorsqu’elle s’installe pour entamer sa formation, « le plus dur, au début, c’était de parvenir à voir le fond de l’eau tout en retenant sa respiratio­n. » Mais elle s’accroche et assure que la profession attire toujours et que la relève est là.

Le métier compte cependant de nombreuses octogénair­es. La moyenne d’âge est de 70 ans. Et, selon les deux femmes, les candidates abandonnen­t souvent dans les six premiers mois, « découragée­s par le peu de coquillage­s qu’elles ramènent ».

 ?? ??
 ?? | PHOTO : JOHANN FLEURI, OUEST-FRANCE ET MUSÉE MARIN DE TOBA ?? Machiyo Yamashita et Kaori Arai, deux « ama » de la préfecture de Mie, s’inquiètent pour l’avenir de leur profession mythique.
| PHOTO : JOHANN FLEURI, OUEST-FRANCE ET MUSÉE MARIN DE TOBA Machiyo Yamashita et Kaori Arai, deux « ama » de la préfecture de Mie, s’inquiètent pour l’avenir de leur profession mythique.
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France