Dimanche Ouest France (Morbihan)

Cette avocate traque les tueurs en série

Corinne Herrmann, avocate spécialisé­e dans les affaires criminelle­s non résolues, se bat auprès des proches de victimes de tueurs depuis plus de vingt ans.

- Jeanne NICOLLE-ANNIC.

« Je ne voulais pas être avocate. Je déteste les avocats. » Surprenant­e confession de Maître Corinne Herrmann, chevelure auburn et yeux soulignés de khôl, dont on aperçoit la silhouette dans les tribunaux depuis plus de deux décennies. « Le Grêlé », Fourniret… Elle est continuell­ement aux côtés de familles dans des dossiers de tueurs en série et dans les affaires irrésolues. Elle lutte pour apporter un épilogue à des dossiers jugés insolubles. L’avocate a vu ses combats en partie récompensé­s avec la création, à Nanterre, d’un pôle national dédié aux cold cases.

Corinne Herrmann a toujours été passionnée par la criminolog­ie, mais n’était pas attirée par le milieu des avocats pénalistes. Jeune fille, elle ne choisit pas entre son appétence pour l’art, puisqu’elle suit un cursus aux Arts déco, et pour le droit, qu’elle étudie à la fac. Finalement, elle range les pinceaux et s’oriente vers le monde de l’entreprise, en devenant juriste pour des réseaux de franchisés. Une lourde maladie coupe court à sa carrière naissante.

Le déclic Heaulme

À la fin des années 1990, elle rebondit dans le cabinet d’avocats parisien de son oncle Pierre Gonzalez de Gaspard. Il défend alors le tueur en série Francis Heaulme. La personnali­té du routard du crime, notamment sa capacité à embrigader avec lui des complices qui jamais ne le dénoncent, passionne la jeune juriste.

En 1997, Francis Heaulme et Didier Gentil, jugés pour le meurtre de Laurent Bureau, 19 ans, sont acquittés par la cour d’assises de Périgueux, cette dernière n’ayant pas pu déterminer lequel des deux avait commis le crime. À l’annonce du verdict, la salle d’audience se vide à vitesse grand V.

« Je me suis trouvée seule avec les parents de la victime. Je ne leur ai pas parlé, mais j’ai vu leurs visages, leur désespoir. Je me suis dit : il faut défendre ces gens-là. »

Elle rencontre l’avocat Didier Seban, dont elle rejoint le cabinet.

Ensemble, ils formeront un duo pendant plus de vingt ans, et deviendron­t les avocats des oubliés. Leur premier dossier est celui des disparues de l’Yonne, ces jeunes femmes de la Ddass, handicapée­s, disparues entre 1975 et 1979, sans que cela inquiète grand monde. Émile Louis, un chauffeur de bus, sera finalement condamné pour ces meurtres en novembre 2004.

En 2010, Corinne Herrmann passe l’examen du barreau et gagne le droit de porter la robe noire. Dans le prétoire, sa parole claque.

Pour le travail d’enquête, elle explore sans relâche chaque piste, elle se passionne pour l’archéologi­e afin de lire les scènes de meurtres, l’ethnopsych­iatrie pour comprendre les criminels, ou encore la morphoanal­yse des traces de sang sur une scène de crime.

Elle pousse des gueulantes dans les bureaux des juges d’instructio­n, force pour rouvrir des dossiers, se bat contre la prescripti­on de certaines affaires, et, forcément, en irrite quelques-uns. « Certains me prennent pour une emmerdeuse, note-t-elle. Oui, je suis un peu extrémiste, un peu révoltée, un peu indignée. Mais quand quelqu’un disparaît, on s’en occupe, on ne dit pas qu’on verra ça le lendemain. »

Elle était convaincue que Michel Fourniret était lié à la disparitio­n d’Estelle Mouzin, en janvier 2003, à

Guermantes (Seine-Maritime). Monique Olivier, la femme de l’ogre des Ardennes, a finalement avoué. À partir de 2017, Corinne Herrmann remue aussi ciel et terre pour que la piste de Jacques Rançon soit explorée dans le dossier Isabelle Mesnage, tuée près d’Amiens en 1986. L’homme sera condamné à la réclusion à perpétuité en 2021 pour ce meurtre, peine confirmée en appel l’année suivante.

D’autres cold cases à résoudre

L’avocate dénonce un système archaïque, qui complique la résolution des crimes, a fortiori anciens : une politique des scellés qui fut longtemps erratique en France, des rivalités entre police et gendarmeri­e devant travailler sur les mêmes dossiers.

Mais Corinne Herrmann n’est pas résignée. « La nouvelle génération d’avocats » va bousculer les pratiques, prédit-elle. La science sera capable de merveilles pour résoudre des crimes. Et elle en est sûre : une « culture cold cases » va émerger dans le sillage du pôle.

L’été passé, après plusieurs décennies de collaborat­ion, elle est partie du cabinet Seban pour monter le sien. Elle planche toujours sur des dossiers irrésolus, comme la disparitio­n de la petite Charazed Bendouiou à Bourgoin-Jallieu (Isère), en 1987, ou celle de Tiphaine Véron, évaporée au Japon en 2018. Des affaires qui viennent d’arriver au pôle de Nanterre. « Je suis, comme une grosse partie de la population, très intriguée par ces affaires non résolues. C’est fascinant de voir toutes les avancées scientifiq­ues, qui permettent de ressortir de vieux dossiers. Et très important pour les familles qui, même vingt ans après, attendent des réponses. »

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| PHOTO : MATHIEU PATTIER, OUEST-FRANCE L’avocate Corinne Herrmann se passionne pour les affaires non résolues.
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