Dimanche Ouest France (Morbihan)
Le Centre-Bretagne leur a fait découvrir Beethoven
L’accès à la musique classique est gratuit pour les enfants de la communauté de communes du Kreiz Breizh. Ils ont appris à jouer d’un instrument à l’oreille et forment un orchestre symphonique.
Reportage
« La musique classique est en théorie pour tout le monde. Encore faut-il avoir chance de la rencontrer ».
La communauté de communes du Kreiz Breizh (CCKB), le territoire le plus rural de Bretagne (23 communes), a décidé de forcer le destin, comme l’explique son directeur des affaires culturelles, Frantz GandubertTouseau. Malgré les distances qui comptent double sur ces routes de campagne (50 km entre les points les plus éloignés du territoire), Beethoven, Holst ou Fauré se sont invités dans de nombreux foyers du CentreBretagne où ils étaient de parfaits inconnus.
Comment ? Grâce au partenariat de la Cité de la musique – Philharmonie de Paris et de la CCKB, premier territoire rural à bénéficier du programme Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale). Celui-ci permet à des enfants d’apprendre à jouer d’un instrument de musique en orchestre, dans des territoires où a priori la musique classique n’est pas une évidence. « Ici, les distances sont une vraie difficulté. Quand on a une famille avec deux à trois enfants, c’est une gageure », confie Frantz GandubertTouseau.
« On joue ensemble, on apprend à travailler ensemble. »
« C’est l’école de la rigueur, du respect de l’autre »
« L’émotion est toujours la même quand on répète »
En Centre-Bretagne, 108 enfants, pour la plupart âgés de 7 à 8 ans, ont découvert un instrument de musique classique dès 2018 grâce à des cours délocalisés dans plusieurs endroits du territoire et au prêt d’un instrument gratuits. « Ils démarrent l’instrument à l’oreille, avec le chant. Ensuite, on va vers l’écrit, explique Frantz Gandubert-Touseau. Sur les 108 enfants, trois seulement avaient eu un contact avec la musique et certains se sont vraiment révélés. »
En 2021, après trois ans de pratique, 47 d’entre eux ont rempilé et intégré l’Orchestre des jeunes du Kreiz Breizh, dirigé par Aurélien Azan Zielinski, chef d’orchestre associé à l’Orchestre National de Bretagne jus
qu’à la saison dernière. Derrière eux, la relève : il n’est pas rare de voir leurs frères et soeurs intégrer eux aussi le programme.
« C’est une nouvelle filière culturelle, se réjouit Patrick Toffin, coordinateur pédagogique à la Philharmonie de Paris. Un enfant sur deux a continué. Si l’on regarde juste ce critère, c’est un succès. Nous avons vu évoluer ces enfants depuis cinq ans. L’émotion est toujours la même lorsque l’on se retrouve pour répéter. »
Ce mardi des vacances de février, dans la salle polyvalente de Rostrenen (Côtes-d’Armor) où l’orchestre se retrouve pendant deux jours, pas un ne manque à l’appel.
Léo, 11 ans, trompettiste, concède beaucoup de travail « pour apprendre à respirer par le nez et souffler par la bouche ». Il a un truc bien à lui pour lutter contre le trac : « Si on fait une fausse note, les autres instruments la cacheront.»
Mathias, 12 ans, euphoniumiste (joueur d’euphonium ou tuba ténor)
« adore ça », même si « souffler, c’est épuisant ». Ce collégien de 5e aime particulièrement Beethoven et Britten qu’il décrit avec trois adjectifs. « C’est soit doux, soit triste. C’est un peu dansant. » Tous les jours, il consacre « une petite heure » à son instrument, comme Bleuenn, 13 ans, unique altiste de sa classe de 4e. « J’aime l’esprit de groupe. On joue ensemble. On apprend à travailler ensemble », confie la collégienne qui s’est aussi mise au piano.
« Notre fille n’aurait jamais pu jouer d’un instrument de musique classique sans Démos. C’est gratuit, à la portée de tous, et tout cela à Rostrenen ! C’était une chance, il fallait la saisir, commente sa mère, Marguerite Guyomard. C’est aussi l’école de la rigueur, du respect des autres. Tout cela est important. »
Elle qui n’a jamais joué d’un instrument apprécie la fenêtre sur le monde que représente le parcours musical de Bleuenn. « Grâce à Démos »,
la famille a reçu un musicien japonais et a pu « aller au concert tous les soirs ». Les accompagnements ? « On se débrouille, sourit cette employée qui commence son travail tous les matins, à 6 h 30. Au besoin, on met la grand-mère de Bleuenn à contribution ».
« Vous êtes un vrai orchestre »
Dans la salle polyvalente de Rostrenen, ce jour-là, Marguerite Guyomard mesure les progrès du premier orchestre symphonique du Kreiz Breizh, salués par Aurélien Azan Zielinski au terme de deux jours de travail : « Vous êtes concentrés, vous faites attention au collectif, vous êtes un vrai orchestre, résume le chef d’orchestre devant les petits musiciens. Nous avons encore quatre rencontres avant le concert. »
Ce sera le deuxième d’envergure pour l’orchestre. Le premier a eu lieu sur la scène mythique de la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris en 2021. « C’était l’un des orchestres les plus fournis avec 98 enfants » ,se souvient Sandra le Nouvel, présidente de la CCKB. « Un moment majestueux », souffle avec émotion Marguerite Guyomard.