Dimanche Ouest France (Morbihan)
T. C. Boyle et les tribulations du singe parlant
Le sarcastique auteur américain met en scène des scientifiques tentant d’apprendre le langage des signes à des chimpanzés. Une fable fondée sur des expériences réelles.
Le passage à la télé de Guy Schermerhorn et de Sam, un jeune chimpanzé mâle initié à la langue des signes, fait accéder l’universitaire à une notoriété nouvelle. S’occuper de Sam n’est pas une sinécure. Le chercheur embauche deux nouvelles étudiantes pour l’aider. Aimée, l’une d’entre elles, développe une relation particulière avec Sam… et avec Guy. Mais le légitime propriétaire du singe menace de le récupérer pour ses propres projets.
Dans beaucoup de ses romans, l’auteur américain T. C. Boyle conte comment les meilleures intentions et les visions idéalistes ont des ressorts cachés et des conséquences discutables. Si les scientifiques ne sont pas ses seules cibles, ils se prêtent particulièrement bien à sa verve jubilatoire.
Une femelle chimpanzé surdouée
Boyle a ainsi exploré la figure historique du médecin hygiéniste John Harvey Kellogg (oui, celui des cornflakes), digressé sur les expérimentations universitaires du LSD (Voir la lumière). Il a décrit les tentatives de colonie en autarcie placée sous dôme du projet Biosphère des années 1990 (Les terranautes ) ou a mis en scène le conflit entre animalistes et biologistes autour d’une d’espèce invasive (Après le carnage).
Parle-moi ! est librement inspiré des expériences du couple Allen et Beatrix Gardner qui apprirent la langue
des signes à Washoe, une femelle chimpanzé « surdouée » pour cet exercice. Ils avaient ouvert la voie à de nombreuses expériences similaires, qui ont fait grand bruit dans les années 1970 et 1980. Ces tentatives ont finalement été considérées comme des échecs, la part du conditionnement et du réel apprentissage posant question.
Plus raisonnables dans leurs visions, les éthologues actuels (comme Alban Lemasson, de Rennes 1) cherchent à comprendre le langage propre de nos cousins simiens plutôt que leur imposer le nôtre.
Alternant les points de vue d’Aimée, de Guy et de Sam, T. C. Boyle mène son récit avec une maîtrise parfaite, en réglant son habituel curseur entre
humour et empathie plutôt du second côté. Le langage n’est pas le propre de l’homme, vouloir imposer le nôtre à d’autres espèces est tragiquement humain mais pas sans conséquences.
Parle-moi !, Grasset, 416 pages, 25 €. E-book : 16,99 €.